Big Girls : grands problèmes, grandes solutions par Thomas Mourier
Vous aussi vous aimez les bastons de monstres géants, les récits de SF qui questionnent le genre et incarnent les problématiques sociétales dans un univers de fin du monde? Venez à la rencontre des Big Girls, ces femmes géantes qui sont les derniers remparts de l’humanité face à sa propre mutation.
Pour le lancement de 404 comics, l’éditeur arrive avec une double proposition, un comics d’action qui mélange les codes du mainstream et des thématiques indés, mais aussi un recueil de strips d’un auteur norvégien qu’il nous fait découvrir. On vous a présenté Dunce sur Bubble ici, au tour des Big Girls de Jason Howard.
Vous connaissez peut-être le travail de Jason Howard sur les séries qu’il dessine sur des scénarios de Robert Kirkman ? Sur Super Dinosaure & Wolf Man, deux séries de l’univers partagé d’Invincible (dont la série est en cours de diffusion sur Prime et vaut vraiment qu’on s’y arrête un instant), et plus récemment il a également collaboré avec Warren Ellis sur la série Trees & Cemetery Beach.
Un illustrateur qui adore les monstres, les bastons épiques et les univers dystopiques qui se lance en solo, signant sa première série qui compile toutes ses obsessions dans un récit bien ancré dans l’air du temps. Nous sommes dans un futur proche où manipulations génétiques et virus ont provoqué des mutations chez les êtres humains : un virus du gigantisme qui condamne l’humanité à vivre dans des villes retranchées et à subir les attaques de monstres géants.
Mais la mutation terrible chez les hommes n’a pas le même effet chez les femmes, celles qui sont atteintes deviennent géantes sans devenir des bêtes. Surnommées les Big Girls, les rares qui ont grandies et survécues sont recrutées par le nouveau gouvernement pour protéger les enclaves humaines des Jacks affamés.
Les Voyages de Gulliver en mode Evangelion
Dans cette ambiance de fin du monde, où les grossesses sont contrôlées, où les naissances peuvent devenir un délit, le Marshal James Tannik est prêt à tout sacrifier pour protéger la Réserve. Épaulé par ses trois Big Girls, il traque les Jacks qui s’aventurent trop près et chasse les enfants qui pourraient présenter des mutations en mode inquisiteur eugéniste.
Les 3 filles forment une équipe étrange, uniquement réunies par leur gigantisme, elles ne partagent pas le même idéal et Ember commence à se poser des questions sur ce que le Marshal lui raconte, sur la nature des Jacks et ce qui existe au-delà de la Réserve.
Elles sont badass, géantes et armées. Les scènes de combats en solo ou en équipent évoquent les films de Kaiju, les séries de Sentai et surtout Evangelion où les parallèles sont nombreux entre ces armes organiques géantes, ces combats au milieu des villes, ces ennemis dont on ne connaît pas bien l’origine, mais qui semblent liés aux défenseurs… et surtout ces ados que l’on oblige à combattre, à tuer, à se faire tuer pour un “bien commun” un peu douteux.
Baston & philo, combats et réflexions. On s’aperçoit vite au fil des pages, que malgré sa taille et son caractère essentiel à la survie du groupe, Ember est traité comme une arme, au mieux un soldat, et doit se soumettre aux ordres, aux tests de laboratoire et au dictat du Marshal. Ici Jason Howard interroge le patriarcat à travers cette relation complexe, creuse les rapports de domination homme-femme et le sexisme dans cette histoire de SF où seules les femmes ont un pouvoir, mais où ce sont encore les hommes, blancs, riches qui dominent.
L’un des personnages est surnommé Gulliver, et si on se rappelle surtout des géants et des lilliputiens du conte de Jonathan Swift, ce livre est surtout une satire très politique sur son époque. Jason Howard fait référence à cette double ascendance à la fois dans le sous-texte politique et social de son histoire, mais aussi graphiquement à travers quelques scènes dont celle où Ember se retrouve dans la même position que le Gulliver de Swift, encordé elle dans un labo sous une batterie de tests.
N’est monstrueux que celui qui est désigné comme tel !
Parmi les autres influences, il y a les séries B, les films de genres comme L’Attaque de la femme de 50 pieds (que vous connaissez peut-être déjà chez Brüno et son Lorna ? ) ou le cinéma organique de David Cronenberg, mais aussi Akira et ses mutations bien incarnées ou encore les films de monstres japonais… le dessinateur pioche dans ses influences pour proposer sa vision très cool d’une fin du monde peuplée de créatures géantes mutantes.
Graphiquement le trait de Jason Howard est très dynamique, les scènes de combats donnent à voir son sens de la mise en scène et les jeux de perspectives avec ces filles qui combattent des monstres au milieu des buildings. Par le dessin il oppose le monde “humain” très carré des bâtiments, de la combinaison des Big Girls, des armes, de la mâchoire du Marshal à la rondeur des Jacks, de leurs excroissances, du ventre rond des femmes qui se cachent. Le dessinateur est assez subtil dans sa mise en image de la série.
Il l’est un peu moins sur la caractérisation des personnages, on a des stéréotypes un peu trop classiques, du “méchant militaire” à la terroriste “qui est prête à tout” après être partie d’une bonne intention. C’est peut-être la faiblesse du titre, mais cela reste une très bonne lecture pour le reste.
Un petit côté Frankeinstein et sa créature, en guise de dernière référence, pour vous donner une idée des réflexions qui parcourent cet album, bien entendu que les monstres sont plus que des terreurs qui tuent à l’aveugle, que l’humanité peut espérer, qu’Ember va creuser les non-dits et que le Marshal va faire le gros bourrin. Un bon album, généreux en pleines pages d’action et de dialogues bien sentis qui appellent une suite même si le titre est aujourd’hui un one-shot.
Thomas Mourier le 19/05/2021
Jason Howard, traduit par Arnaud Tomasini - Big Girls - 404 Comics
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