Lin Zhipeng et son superbe “No. 223 Grand Amour”

Souvent, nos connaissances de la photographie chinoise contemporaine se limitent à Ren Hang, RongRong & inri, Pixy Liao (basée en Amérique) et très peu d'autres. Alors, retrouvons ici la seconde édition chez Witty Kiwi du superbe No. 223 Grand Amour de Lin Zhipeng. Le moins que l’on puisse énoncer est que cela interpelle et fait bondir. Ouf !

banner-3test-8.jpg

Lin Zhipeng, alias no. 223, a reçu une invitation de la curatrice Anna Mistal pour réaliser une exposition de photographies pendant trois jours à l'hôtel Grand Amour à Paris. Il explique le processus dans la postface du livre...

Je suis comme un serveur à qui on a donné une identité particulière. À ce moment-là, je suis peut-être un étranger, peut-être un faiseur de goût et d’émotion, peut-être un voyeur à côté, peut-être juste un enregistreur qui utilise une caméra pour envahir les autres. La jeune chair entrait et sortait. Notre communication se limitait à la narration du son de l’obturateur et à un dialogue euphémique.
— Lin Zhipenge

Tout au long du livre, on a l'impression d'un espace clos, mais soigné. Les chambres d'hôtel sont des décors étranges pour les enquêtes photographiques, car elles sont censées être familières et pourtant en ordre parfait. Dans le cas du Grand Amour, ce n'est pas nécessairement le décor qui est à l'origine de l'œuvre, bien que la couleur bleue des murs joue avec le flash de l'artiste d'une manière séduisante, créant une qualité onirique dans laquelle les corps se plient, se courbent et l'enduit se détache des fruits lorsqu'ils ne fument pas. Les photographies sont plutôt intimes, en gros plan, et extraient les corps qui s'y trouvent du contexte plus large de la pièce.

Grand-Amour-Meimeis-Flying.jpg

L'esthétique est quelque peu à la limite de la mode ou de l'effet de mode et on ne sait pas trop quoi penser de la proximité de cette œuvre avec Ren Hang, aujourd'hui décédé. Mais entre les ongles rouges, les couleurs hyper saturées et la production de corps nus, on perçoit une parenté certaine. Peut-être les Chinois ont-ils une manière nuancée de travailler avec le corps et la photographie qui produit ces similitudes ; mais on peut trouver une autre explication du côté généralisations sur la production d'images du corps par l'interférence de la censure chinoise - un processus difficile à cerner.


Je lis, j’aime, je m’abonne !

Soutenez le quotidien indépendant qui place la culture au cœur de son combat pour un monde meilleur. En vous abonnant, vous ne raterez plus un article. Et aiderez un journal aux poches trouées comme un bohémien à continuer son chemin singulier dans une presse de plus en plus uniformisée. No culture, no future !


Grand-Amour-Tsai-Tsai-In-The-Hands-Shadow.jpg

Quoi qu'il en soit, le livre est le fruit du travail de l'artiste dans un pays qui n'a guère de problème avec la production de corps nus en photographie. Il s'agit d'un journal ou d'un compte rendu de ces trois jours, ce qui, inutile de le dire, représente un calendrier de prise de vue très serré pour la réalisation d'un livre photo, quel que soit le nombre d'assistants et de modèles dont vous disposez. Vous pouvez le ressentir dans le livre lui-même, à travers les images. On n'a pas l'impression d'une accumulation de travail au fil du temps. Il y a quelque chose de direct, rapide et cohérent à l'intérieur, et pourtant, étant donné les limites de l'hôtel, il ne pourrait jamais être beaucoup plus large. On peut réduire les images qui circulent entre les études de fruits, les corps masculins et féminins sexualisés à un sentiment de semi-contre-culture. Peut-être s'agit-il là encore d'un pont imaginé entre certains des sujets et les artistes mentionnés précédemment.

Grand-Amour-Rm.508.jpg

Une curiosité notable concerne la prédominance des modèles asiatiques dans le livre. Si le livre a été produit à Paris et qu'il y a eu un appel à modèles, pourquoi ne voit-on que des modèles asiatiques ? Il a dû s'agir d'un choix de l'artiste ou du conservateur, ce qui soulève des questions quant à la bienséance. L'artiste asiatique ne se sent-il en confiance qu'en photographiant des modèles asiatiques nus ? Le conservateur a-t-il insisté pour que les modèles soient asiatiques ? Si oui, pourquoi ? Rien de tout cela n'est d'une importance capitale, mais cela vaut la peine d'y réfléchir. Dans l'ensemble, le livre est aussi solide qu'abouti et il est formidable de voir un geste de collaboration entre l'artiste et le conservateur aboutir à un livre. Il ne reste plus qu'à partir en quête des autres œuvres de Lin Zhipeng, notamment des projets à plus long terme réalisés en Chine. Recommandé.

Ed Zeiss le 12/05/2021
Lin  Zhipeng - No. 223 Grand Amour - Editions Witty Kiwi

Whatever it is, the way you tell your story online can make all the difference.

Whatever it is, the way you tell your story online can make all the difference.