“Wonder Woman – Dead Earth” ou les promesses de la dernière Amazone
Alors que les publications de super-héros ronronnent avec leurs lots de reboots, relaunch et rééditions, certains artistes arrivent encore à surprendre en proposant des récits qui se placent immédiatement au rang de classiques du genre. Daniel Warren Johnson est de ceux-là en installant son Wonder Woman – Dead Earth comme un des titres les plus réussis sur le personnage de l’Amazone.
Deux cents pages pour 4 numéros spéciaux proposés dans le Black Label de DC comics, un label qui permet aux auteurs d’explorer un versant plus libre, plus adulte et hors continuité des publications DC, où l’auteur qui s’est déjà taillé une belle réputation avec des récits indés (Extremity, Murder Falcon) s’attaque à la Sainte Trinité DC à travers le perso de Wonder Woman.
Nous sommes à la fin des temps humains, après l’apocalypse nucléaire et l’humanité — ce qu’il en reste — tente de s’organiser dans une ambiance à la Walking Dead. Car en plus des radiations, des cataclysmes ou du retour à l’âge pré-industriel, ce qu’il reste de la terre est hanté par des créatures monstrueuses, les Haedras. Monstres mutants aux origines troubles qui semblent chasser les derniers hommes et pas uniquement dans un but nutritif.
C’est en voulant échapper à l’une de ces créatures qu’un petit groupe tombe sur un sarcophage de verre et d’acier dans ce qu’on devine être la Batcave. Diana se réveille de son sommeil artificiel et découvre un monde mort. Amnésique, elle va chercher à comprendre ce qui lui est arrivé, ce qui est arrivé à l’humanité avec ses nouveaux compagnons. La quête devient sauvage entre bastons de monstres géants, scènes survivalistes, guerres de clans, flingues & armes mythologiques.
L’ombre d’une super-héroïne
Derrière l’esthétique post-apo, Daniel Warren Johnson s’attache surtout à déconstruire le personnage de Wonder Woman, à explorer son « humanité » une fois que l’armure a explosé. Pour la première fois, il la place au-devant de la scène, dans un récit où même Superman n’a pu sauver la Terre et où Batman malgré « ses coups d’avance » n’a pas pu anticiper le pire.
Une relecture de la mythologie DC Comics avec l’Amazone qui reprend sa place de déesse, un statut un peu à part au milieu des super-héros. Mais c’est surtout son humanité, son empathie, sa rédemption qui sont questionnées dans cet album de fin de monde. Diana ne sait plus qui elle est, ni à qui faire confiance ; le monde a changé et tous ont choisi un camp.
« J’étais une protectrice », se souvient Diana. « On dirait que tu as échoué… », répond la jeune femme qui la questionne. L’auteur renoue avec les codes de la mythologie pour montrer une héroïne brisée, pleine de faiblesses et hantée par une faute impardonnable. Son attitude, ses aptitudes et même son look tranchent avec l’image glamour/baston du personnage au cinéma. Sans ses pouvoirs, sans sa mémoire, on découvre une femme seule qui pleure ses amis, qui cherche à comprendre sa mère et surtout qui ne renonce pas à ses convictions, à son envie de faire partie de l’humanité malgré les tragédies.
Wonder Woman apparaît comme une figure abîmée de la mythologie, plus christique que grecque. Une déesse pleine de cicatrices, cheveux en bataille et costume fait de récup’. Une nouvelle version d’elle-même, une origin story à la fin des temps qui reboot de manière inédite son passif.
Plongée violente dans le futur atomique
Coup de maître, cette introspection se double d’un univers barbare pêchu, hors du temps, entre combats & duels, entre baston à l’arme antique & mitraillettes, entre monture mythologique & jepps…
Wonder Woman – Dead Earth est un très bon album post-apo, à la fois avec tous les codes du genre, mais qui mêle les possibilités liées aux caractéristiques du récit de super-héros. Très immersif dans sa narration à hauteur humaine, à travers les yeux de cette femme dépossédée de son identité on explore ce futur horrible avec curiosité, garni de quelques passages très visuels.
L’auteur n’oublie pas de nous (se) faire plaisir avec les clins d’œil à Superman et Batman et leurs destinées, de la Batcave à la forteresse de solitude. Ou encore son invention de l’arme ultime : un fléau kryptonien (vous ne verrez pas plus fun ou plus glauque ailleurs…)
Graphiquement, Daniel Warren Johnson multiplie les trouvailles visuelles. Son trait épais, furieux, chargé donne un côté brut à l’ensemble, Wonder Woman semble taillée dans l’étoffe des barbares plus que des dieux, les monstres sont aussi esthétiques que dégueu, et l’auteur se fait plaisir en proposant des doubles pages assez somptueuses. Le tout porté par les couleurs de son complice Mike Spicer. Jamais pop, mais qui tirent vers des propositions atypiques, le coloriste s’amuse avec les lumières et aplats qui tranchent pour souligner l’action. Couleurs criardes bien dosées, onomatopées colorées, soin du détail dans les décors grandioses, les deux auteurs collaborent de longue date et leur travail ici est assez organique.
Le dessinateur multiplie les cadrages audacieux et un découpage ultra-dynamique qui lui permettent de mettre en scène toute la violence & la vélocité de son héroïne avec des positions/attitudes nouvelles. Une approche assez réussie et singulière, comme avait pu l’être celle de Paul Pope avec son Batman.
Après ce succès, Daniel Warren Johnson annonce travailler sur un titre Marvel, centré sur le personnage de Beta Ray Bill. Un héros un peu particulier dans l’univers de Thor, dont le design semble fait pour un récit de Warren Johnson
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— Daniel Warren Johnson (@danielwarrenart) December 16, 2020
Thomas Mourier le 11/04/2021
Daniel Warren Johnson , Wonder Woman – Dead Earth, Urban Comics
Traduction de Thomas Davier
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