Rogér Fakhr à Paris en 1977, réédition d'un chef d'œuvre : “Fine Anyway”

Si vous aimez David Crosby, le Bernard Lavilliers des débuts et le folk 70’s français juste avant le punk, vous allez adorer le remarquable album de Roger Fakhr enregistré ici-même en 1977 avec Issam Hajali. Les deux avaient fui Beyrouth et l’occupation syrienne et le label Habibi Funk ressort cette perle. On développe… 

Rappel pour les absents qu’après le psychédélisme de la fin des 60’s arrivèrent le Band, les Byrds et les Flying Burritos Brothers qui influèrent le cours du son vers la country et le country-rock. Ce qui, quelques années plus tard ici, donna le revival folk - et pas que poil aux pattes - qui servi de base musicale pendant 3, 4 ans avant que les premiers punks d’ici enregistrent sur des labels comme l’Escargot … Et côté chanson, c’est la vague des Yves Simon, Maxime Leforestier, Béranger et même le Renaud des débuts qui s’en servirent. L’air du temps! Mais les deux exilés beyrouthins Fakhr et Hajali s’en sont servis de base d’envol pour parler et d’exil et d’évolution sonore à base de leurs racines orientales et pousser le bouchon plus loin dans l’inconnu du funk, du jazz et de la soul : Fine Anyway ! Ceci, en ajoutant que Fakhr était à Beyrouth un des musiciens des plus respectés pour son aventurisme musical et ses idées en studio.

Fine Anyway se pose comme une collection de ballades douces et d'airs de blues jangly, sans laisser beaucoup d'indices sur le lieu et la date de son enregistrement, ou sur les circonstances de celui-ci. Le morceau d'ouverture "Lady Rain", avec la voix douce de Fakhr et un accompagnement de flûte flottante, évoque des images d'une journée ensoleillée avec un verre de vin à la main. "Sitting in the Sun" est un moment fort de l'album, Fakhr montrant son talent en jouant une mélodie rapide de style maqam sur un groove de basse funky. L'interlude "Keep Going" offre une brève fenêtre sur l'état d'esprit de Fahkr en cette période d'agitation politique. "Si tu ne peux pas tout supporter, continue à avancer", chante-t-il. Il entonne un couplet en arabe - pour la première et dernière fois sur l'album - avant que le morceau ne cède la place au son des sirènes et des coups de feu.

Bluffé à la première écoute de Fine Anyway, le boss du label Habibi Funk, Jannis Stürtz, avait demandé à Fakhr, de son exil américain, s’il l’autorisait à ressortir correctement cet album tiré à peu d’exemplaires et s’était vu opposé un refus catégorique. Mais l’an passé, en lui proposant de participer à la compilation Solidarité avec Beyrouth, ce dernier avait finalement accepté sa proposition. C’est cet album que vous découvrez, genre de jalon méconnu (plus pour longtemps) entre folk oriental, jazz, soul et funk. On évitera de parler de tuerie pour des réfugiés ayant fui leur pays dévasté, mais c’est juste un chef d’œuvre. Plongez !

Jean-Pierre Simard le 9/04/2021
Rogér Fakhr - Fine Anyway - Habibi Funk

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