Furie (2020) d'Olivier Abbou : Périphérie vs. Périphérie

De retour de vacances, une famille découvre, horrifiée, que les locataires auxquels elle a gentiment prêté sa maison pour les dépanner le temps de l'été refusent de quitter les lieux. Ils y sont, ils y restent, ils ne partiront pas. L'horreur est à l'expropriation des propriétaires. D'autant que le chef de famille croyait en être prémuni après avoir coché toutes les cases de la bonne intégration sociale, statut de la fonction publique et emploi de professeur, femme blanche et maison à la campagne. Cela ne suffit donc pas à l'homme qui voit dans la situation l'odieux rappel aux stigmates de la peau et de ses origines antillaises. Même son élève d'origine subsaharienne s'y met en le traitant de Bounty, autrement dit de noir à l’extérieur mais de blanc à l’intérieur, c’est-à-dire encore de blanc incomplet, marquant ainsi une différence dans les peaux noires qui renvoie au professeur la faute héritée de l'esclavage. Comment remédier alors à un pareil désaveu ? La loi est d'abord requise mais sa langueur est laborieuse, elle déçoit forcément en ne suscitant aucun désir du réalisateur pour en tromper l'inévitable déception. En revanche, la réalisation est plus enthousiaste du côté du surmoi quand ses représentants ont l'obscénité pour une part puérile mais pour une autre méphistophélique en s'incarnant avec le sexy Paul Hamy.

Les ivresses rougeoyantes à la Noé sont les flammes de la tentation pour Olivier Abbou qui, avec Furie en guise de variation d’ici de Chiens de paille, s’essaie à lancer une sonde dans la France profonde et le ventre de ses tendances fascisantes. Sauf que le home invasion est aussi réduit que le cinéma l'est avec le home cinema. Ainsi, le film est assez couard politiquement en évitant les noms et les énoncés réels qui représentent le néofascisme actuel. Il faudrait se contenter du drapeau tricolore de la beaufitude habituelle, mâle-blanc-hétéro, dont les effusions de testostérone excitent suffisamment le prof pour lui faire croire qu'il peut renouer non seulement avec sa dignité de propriétaire bafoué, mais aussi avec une virilité que l'expropriation affaiblit plus encore qu'elle ne l'était déjà. Finalement, la loi ne tient – le réalisateur y tient, qu'à raison des saines et énergiques piqûres de rappel du surmoi. Comme on est loin des problématisations fordiennes à la Liberty Valance ou même de l'anthropologie nihiliste d'un Peckinpah à l'époque du Vietnam. Au lieu de penser la refondation de la loi sur d'autres bases que le droit, Furie légitime le recours faux-cul à la violence et ses jouissances dès lors qu'elles s'exercent avec puis contre ceux qui en usent pour en abuser. L'ultime épisode de l'intégration est ainsi donné par le label beauf de la violence légitime et c'est ainsi que le héros redevient sexuellement désirable pour sa compagne. Comme quoi le fascisme a du bon, c'est un facteur d'intégration, on aurait voulu cependant un peu d'ironie dans le constat, mais non.

 Français des périphéries de l'empire, encore un effort pour intégrer la France périphérique et ses clichés pseudo-sociologiques.

Des Nouvelles du front 2 avril 2021


Des Nouvelles du Front inaugure une nouvelle rubrique : Les Reflux du flux. De quoi s'agit-il ?

À l'ère du spectaculaire domestique, les fantômes du permanent de naguère sont devenus des spectres à la petite semaine, les feux follets d'une industrie de l'audiovisuel qui prolifère paradoxalement sur l'extension même du champ de sa décomposition. Spectralisation du cinéma.

Les ectoplasmes, qui tantôt clignotent, tantôt clapotent, émettent un rayonnement faible et leurs intermittences, qui émeuvent parfois en ressemblant à des signaux de détresse, rappellent qu'il n'y a pas si longtemps que cela il y eut du cinéma.

Au miroir des écrans plats, la pharmacie de la vidéo à la demande fourgue sans discontinuer sa came à des insomniaques qui croient encore au messie cinéma.

Les Reflux du flux tente ainsi de raconter à la fois quelque chose de l'idéologie qui persévère en dépit de l'horizon terminal du post-politique, et quelque chose du cinéma qui insiste en s'apparentant à Dieu qui est mort mais ne le sait pas.

Pour le mois d'avril : The Pool de Ping Lumpraploeng ; Furie d'Olivier Abbou ; Guest of Honour d'Atom Egoyan ; trois courts-métrages de Luc Moullet ; Army of the Dead (2004) de Zack Snyder.

https://nouvellesdufront.jimdofree.com/reflux.../avril-2021/

L'Autre Quotidien collabore avec la revue en ligne Des Nouvelles du front autour du cinéma, mais pas que, puisque nous partageons avec elle d'autres passions et prises de position.