Comment remettre en grâce Henri Salvador ?
Avec pas loin de 180 albums à son actif, compilations comprises, Henri Salvador est un monument de la chanson française et plus. Plus ou moins inventeur de la bossa, introducteur à succès avec Vian du rock en France, la versatilité du personnage a fait sa durée, de Disney aux adaptations qui cartonnent de Zorro à Minnie petite souris. Mais, heureusement, il n’a pas fait que du tort à ses collaborateurs - Biolay le dernier à s’insurger, il a aussi bien déliré. Et c’est le propos de Homme Studio.
A la fin des 60’s, le Guyanais Henri Salvador a le vent en poupe. Il anime Les Salves d’or à la télé, présente les dessins animés de Disney avec lequel il a un gros contrat discographique suite au succès de “Zorro est arrivé” et il envoie du tube à rythme régulier. Ce que l’on sait moins ; c’est que Salvador producteur a monté avec sa femme Jacqueline le label Rigolo de son fief de la Place Vendôme et a signé Jacky Moulière, Tiny Young et l”idole de l’anatolian rock Baris Manço, mais les choses vont doucement se défaire et le succès s’éloigner. La période que prend en compte la compile est 69/78 et montre le suivi de l’évolution des moyens de production que Salvador a su avec beaucoup de flair anticiper : Il comporte notamment une des premières boîtes à rythmes (à presets), un clavier Moog, une console sur mesure ou un magnéto à bandes. Henri Salvador est ainsi en totale autonomie pour enregistrer, produire et distribuer sa musique à une époque où l’idée relève plus de l’utopie que de la pratique courante. Et ce, jusqu’en 1976 et au décès de sa femme dont il mettra pas mal de temps à se remettre. Genre 2000, avec l’aide Keren Ann et de Benjamin Biolay, pour Chambre avec vue.
Salvador combine une approche instrumentale minimaliste à un goût pour les accords riches de la musique brésilienne ou du jazz. La rigidité de la boîte à rythme est ainsi contrebalancée par le groove de la guitare, instrument de prédilection d’Henri Salvador. Les sublimes Et des Mandolines (1974) ou Pauvre Jésus Christ (1972) sont de merveilleuses portes d’entrée à ce son singulier. La compilation offre quelques autres délicates déclinaisons de musique chaloupée comme Siffler en Travaillant (1971), Marjorie (1971) ou L’Amour va, ça va (1977). Le cinquantenaire ne se contente cependant pas de répéter inlassablement la même formule, il expérimente et s’amuse réellement. Il parodie les tubes du moment (la reprise J’aime tes g’noux), écrit sur les actualités politiques (Kissinger, le Duc Tho) ou signe le fascinant Sex Man, pastiche fascinant du générique de Batman à la sauce lo-fi. Mentionnons aussi l’étonnant On n’est plus chez Nous (1969), morceau traitant du racisme sur un rythme binaire minimaliste auquel répond une ligne de scat répétée comme un mantra. En seize morceaux, Homme Studio réhabilite le travail unique d’Henri Salvador au début des années soixante dix. La sélection, personnelle, offre un angle intéressant sur la production du musicien. La prochaine étape sera peut-être un second volume explorant les années soixante (Bêta Gamma l’Ordinateur, Carnaby Street, Personnalisé, Socialement Parlant, etc). Pour les archéologues et amateurs de brocantes, il reste aussi quelques petites merveilles des années soixante dix à découvrir (Erotico Vieillot, La Vallée, Un Chagrin d’Amour, Duke Basie et Louis) en complément de cette excellente compilation.
Il y a, en dehors du côté détestable du type, un vrai grand pro aussi à l’aise dans le jazz, la pop, la bossa pour cause de grand talent guitaristique et une vraie voix. Mais ce mec fait partie de mon enfance et je lui pardonne pour avoir co-écrit le Petit indien et le Loup, la biche et le chevalier et m’avoir fait découvrir Count Basie et les Coasters. Achetez cet album, ne serait-ce que pour On n’est plus chez Nous - un chef d’œuvre. Un vrai.
Jean-Pierre Simard le 16/4/2021
Henri Salvador - Homme Studio - Born Bad Records