Feu! Chatterton parmi ceux pour qui la poésie veut dire quelque chose

Combien d’articles avez-vous lu, avant celui-ci sur le nouvel album de Feu! Chatterton ? Combien d’éloges, de dithyrambes, de gros titres, ont pu sonner à vos oreilles avant de poser vos yeux sur ces mots ? On part toujours d’un point. D’un endroit sur la carte. D’un lieu sur le territoire…

…On se saisit au vol, de l’air qui nous fait fermer nos paupières et nous donne le rouge aux joues. On le respire fort, comme le souvenir lointain d’un jour où l’on remplissait nos poumons de cet air frais du début de printemps qui annoncent les meilleurs jours du monde. Celui des possibles.
De là où je suis, de là où j’écris, j’ai cru que le monde devait changer.
De là où j’écris, de là où je suis, j’ai pensé que le monde pouvait changer.
De là où ces mots se grisent de la blancheur de l’écran, de là où ils sont transformés en milliers de 0 et de 1, j’ai espéré que le monde avait changé.

Mais le bruit constant de ceux qui n’ont rien à dire s’est amplifié. Il gronde et empêche tous les chants d’oiseaux de percer l’arrivée du jour. Comment dès lors s’en prémunir, s’en protéger. En bouchant nos oreilles ? En hurlant plus fort qu’eux ? Ajouter du bruit au bruit ?

Si le silence doit être brisé, alors qu’il le soit par la poésie. Sinon, mieux vaut se taire. En ces temps de bavardages quotidiens, où les mots ne veulent plus rien dire prononcé par ceux qui prétendre les maîtriser, alors qu’ils les dominent et les appauvrissent, il est l’heure de leur signifier qu’ils ont assez joué ! Assez de faire les malins, assez de « larmes de crocodiles », assez d’aphorismes à deux sous, assez de formules apprêtées et empruntées à la communication publicitaire. Nos vies ne sont pas à vendre ! Et vous ne pouvez pas les acheter.

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Dans ce marasme nous sommes tentés de prendre la poésie chantée de la troupe d’Arthur Teboul pour une réaction à cette année passée… Il n’en est rien. L’album fût écrit bien avant cet immense bordel provoqué par ceux qui prétendent que nous en sommes responsables. « Sur le serveur central, les pixels pleuvent » et on n’y peut pas grand chose, « presque rien ».

Sinon « se prendre dans les bras… » et souvent les poètes sont en avance sur leur temps, sur le temps. Là où les mots des chansons qui se suivent dans ce presque « concept album » se ressemblent c’est dans un léger bégaiement de la langue. Bégaiement dont parle notre cher Deleuze. Car on le sait, la poésie détérritorialise le langage.

Et c’est un monde (un monde d’avant, un monde passé, un monde perdu) qui se bégaie lui-même qui se répète à l’infini. On y trouve la trace dans chacune des pièces de Palais d’Argile. Comme des syllabes, parfois déliées, parfois liées, des fois folles à louer une époque que l’on a jamais perdue, puisque jamais trouvée.

Le bruit dont on rêve remplir le monde à disparu. Celui de la musique enregistrée en particulier. La chasse au souffle, aux « buzz » des lampes des amplificateurs, de la respiration dans le microphone… La lecture dématérialisée (et non détérritorialisée) appauvris la chair des sons. Les spectres sont réduit sans que nous le sachions, nous entendons déjà moins, nous entendons déjà plus ! La production en studio fini par aplatir le son des disques (pardon, des albums, des LP)… Le disque (pardon, l’album, le LP) de Feu! Chatterton est produit et plutôt très bien produit. Un chemin à été décidé, un récit, un son, une proposition qui ne laisse pas du tout indifférent.

Mais pour ne pas ressentir l’indifférence, il faut se laisser emmener dans une écoute, une vraie écoute. Il faut choisir de prendre son temps et de poser le disque, alors que la nuit commence à poindre son nez. Il faut que les premières étoiles scintillent. Il faut que le vent soit tombé. Il faut garder les volets ouverts. Il faut s’accorder une heure et 10 minutes puis quelques secondes. Il faut reprendre du temps que le temps nous dérobe. Il faut refuser de penser que cet album, est un album de confinement. Il faut être libre de l’écouter vierge du temps qui nous a enfermé… Alors il se passera ce que l’on souhaite à chaque disque qu’on souhaite écouter, c’est que le temps existe et que PALAIS D’ARGILE le sublime !

Dans l’éternité de nos heures où l’on se fixe de nos regards fatigués, il existe donc bien une issue, une brèche, une entaille dans laquelle on peut se retrouver, on peut s’emmener danser sur l’horizon. On peut finalement « rendre à l’espèce la monnaie de sa pièce ». Puisque le monde d’avant n’a jamais disparu et que le monde d’après n’existera jamais, il ne nous reste que le monde…

Cet album de Feu! Chatterton est donc ce monde-là. Celui de l’écoute, de l’attention. C’est une album de musique progressive… Il progresse littéralement de la pop à un rock psychédélique, d’une chanson enregistrée sur un coin de table en fin de soirée pour ne par perdre l’idée à un poème de William Butler Yeats qui bouscule le moindre atome de nos émotions dès les premiers mots prononcé par Arthur Teboul… Avant qu’il n’y ait le monde, est sans aucun doute le sous-titre de Palais d’Argile. Le sous-titre dans ce cas, n’est pas hiérarchiquement celui d’en dessous, mais la traduction de cette sonorité englobante du disque.

Enregistré dans les conditions d’un live, comme d’habitude chez Feu! Chatterton, le disque n’ajoute pas du bruit au bruit. Il est au contraire profondément sonore ! Il ne gomme pas toute l’intention, ni la tension, encore moins l’étendue d’un chant devenu plus maîtrisé, laissant effleuré des nuances jusqu’ici moins explorées.

En musiciens des mots, « enlettrés » mais complètement libres, les 5 échafaudent leur récit patiemment avec une élégance rare et une maîtrise qui ne se veut jamais virtuose. Prévert vient y mettre son grain de sel, situant clairement Feu! Chatterton parmi ceux pour qui la poésie veut dire quelque chose. Contemporaine, de notre temps, celui de l’écoute, comme peut l’être la peinture, même peinte il y a des siècles, leur présence nous rend présent au monde.

Dans cette deuxième décennie des années 2000, Palais d’Argile, s’installe d’emblée comme l’un des albums les plus singulier et important de la chanson que l’on dit française. Parce qu’il redistribue les cartes d’une musique spirituelle qui réclame la rematérialisation.

Parce que l’immatériel ne va pas avec un titre de 9 minutes 36, parce qu’à force de ne plus rien vouloir matérialiser, on en oublierait que la musique elle-même a besoin de matière. La syndémie nous apprend cela : La présence des uns et des autres dans un espace, la chair du son issue tout droit des amplis, les vibrations qui viennent taper dans nos thorax sont autant de « matières » qui sont indispensables à notre vie d’êtres humains. La musique, les disques comme les concerts sont des champs à particules.

Feu! Chatterton réussit avec cet opus à redéfinir les frontières de l’enregistrement en studio comme trace sonore et lettré pour mieux les dépasser et proposer dans l’instant une photographie des différentes pièces et de leur déroulement.

La variété des directions prisent par les chemins peuvent aller d’une pièce sophistiquée à une simple guitare voix, les contrastes sont autant de vallées à traverser, des contres-escarpes à franchir ou encore des plages de sable à perte de vues à contempler. Il n’y a pas à ma connaissance de groupe en France qui s’autorise une telle liberté ! Une liberté qui ne soit pas une posture mais une poétique de vie. Et cette poétique, est sans doute une poïétique qui ouvre sur une création nouvelle, riche et singulière.

Palais d’Argile n’est pas un album fragile.

Il est même une pierre fondatrice sur laquelle peut se construire un édifice en constante évolution. Cabane par endroit, sorte de ZAD de la chanson qui prendrait tous les contrepieds pour lutter contre les attendues, comme d’être là où tout le monde espère vous voir. Palais de marbre, solide, par ailleurs, mais jamais clos sur lui-même, une hacienda ouverte au vent et à la lumière des sud.

Si le disque était une architecture alors nous n’aurions aucune paroi infranchissable, aucune dichotomie entre l’intérieur et l’extérieur. Les mots seraient le ciment entre les pierres de tailles et les pierres elles-mêmes. Les images textuelles des immensités sans fin.

L’incarnation du disque se révèle au présent, dans la déliquescence de la lune à travers les nuages des nuits d’encre.

Ai-je tort de prétendre à l’un des disques les plus importants de la troisième décennie des années 2000 ? Là n’est pas la question, car au-delà des certitudes, il y a des disques qui vous transpercent et vous laissent à jamais différent après leur écoute. Palais d’Argile est de ceux-là et vous auriez raison de l’apprivoiser et de vous laisser apprivoiser par lui. Car si la musique s’écoute, ont peut-être aussi écouté par elle… Comme si « Déjà nous nous sentons là bas, déjà nous nous sentons loin, déjà nous nous sentons ailleurs, voilà, nous y retournons… »

Richard Maniere le 13/04/2021
Feu! Chatterton - Palais d’argile - Caroline

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