La vague électro 80 espagnole de "La Ola interior"

Après “La Contra Ola” en 2018, Bongo Joe présente “La Ola Interior”, une compilation explorant le côté ambient de la musique électronique espagnole produite dans les années 80, avec des musiciens d'horizons divers et de plusieurs générations, qui ont créé un paysage sonore immersif en combinant électronique et musiques non occidentales.

Miguel A. Ruiz

Miguel A. Ruiz

En règle générale, le tropisme anglo-saxon a bien relié la musique ambiante de la péninsule espagnole au son des Baléares, c'est-à-dire à la musique de détente jouée dans les boîtes de nuit d'Ibiza. Mais cette musique se situe sur le territoire productif des musiques expérimentales, et en particulier dans ses deux principaux viviers : la scène underground du magnétophone et la scène des musiciens-producteurs indépendants.

Inséparable des processus d'auto-édition, de distribution et d'échange de musique qui se déroulaient alors en Espagne de manière artisanale, le vaste mouvement underground des cassettes se partageait entre une "ethno-trance" mêlant rythmes industriels et sons orientaux d'une part (Esplendor Geométrico, Miguel A. Ruiz / Orfeón Gagarin) et des bricoleurs de low-fi inclassables d'autre part (Camino al desván, Eli Gras, Mataparda, Victor Nubla). Hyperactive, cette scène est radicale et fortement dominée par les styles musicaux les plus durs, mais l'ambient, influencé par la Kosmische Musik allemande et le "krautrock", s'y développe également.

La deuxième veine de l'ambient espagnol provient de certains labels indépendants de la péninsule (DRO, GASA, El Cometa de Madrid, EGK) dont l'activité marquera le retour de certains des musiciens-producteurs les plus aventureux des années 70.

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Certains ont été influencés par le minimalisme américain (Luis Delgado / Mecánica Popular, Suso Saiz, Javier Segura), d'autres par la musique du Quart Monde conçue par Jon Hassell et Brian Eno (Finis Africae, Jabir). Passant par la musique folk, ancienne, traditionnelle ou contemporaine, et connaissant l'improvisation et les techniques de studio, ces artistes sont issus d'une culture hippie mutante, capable de phagocyter de nombreux styles musicaux, de l'ambient électronique à l'improvisation ethnique en passant par le jazz modal.

Ces deux scènes et générations qui composent LA OLA INTERIOR se croisent autour d'un intérêt commun pour les traditions musicales non occidentales. Leur exploration peut être celle des origines tribales des rythmes électroniques ou de l'héritage arabe de l'Espagne. Il s'agit avant tout d'un exotisme rêveur, d'un voyage immobile car les sons, les rythmes ou les instruments de ces traditions sont scrutés à la loupe par les pratiques occidentales (musique d'avant-garde, technologie électronique). Le résultat est une musique hybride, filtrée et réinventée, ni occidentale ni extra-occidentale, avec un goût prononcé pour la fusion des contraires, que nous avons appelé "exotisme acide" en raison de sa recherche permanente de transe ou de contemplation. Atmosphériques, contemplatives et sérielles, ces musiques nous plongent encore aujourd'hui dans un voyage sensoriel, à la fois intérieur et lointain, organique et technologique, entre réminiscences exotiques et visions intérieures.

IL suffira de faire un bond de 5/8 ans en avant, pour retrouver les constantes du balearic beat et celui des compilations du regretté Jose Padilla pour le Café del Mar. Mais se sera une autre histoire, celle des années 90 et des DJ stars qui feront le bonheur acid des clubbers anglais venus par charter pour y bronzer idiot et surtout danser la transe des lieux. You’re squeezing my melon Man !

Jean-Pierre Simard le 10/03/2021
VA - La Ola Interior, Spanish Ambient & Acid Exoticism 19836/1990 - Bongo Joe