Cavale à Polka, le pourquoi de Comment
Nicolas Comment expose “Cavale” à la galerie Polka, dans une version différente de l’originale de Deauville. Magnétique, en cette période d’enfermement général, son travail reste un objet singulier, téméraire et classique, qui oblige à s’affranchir des idées reçues et à mobiliser écoute et regard afin d’entrer dans ce rêve écarlate et sage….
Si l’unité montrée ici ne semble plus procéder de la profusion originale de l’installation deauvilloise, elle secrète toujours parfaitement cet envoutement et permet d’en situer la mouvance et l’ouverture, le jeu de mots, les déplacements de sens, ce qui est montré n’est pas ce que nous voyons, l’image glisse derrière l’image, un jeu de caches très bunuelien agit en sous main cette distribution des rôles, celle de l’Auteur qui dit ce qui n’est pas dit, tout un jeu de passe passe magique où s’abolissent les repères de l’époque , Affichage des certitudes, simulacres et faux semblants, pour revenir à ce que l’écriture organise du réel dans la perception authentique et non dans celle autorisée, que les surréalistes ou les situationnistes auraient pris plaisir à affranchir…
J’ai pu échanger quelques propos avec Sidonie Gaychet de la Galerie Polka et Nicolas Comment, que l’on retrouve dans l’interview ci jointe.
Interview Sidonie Gaychet, Nicolas Comment réalisé à la galerie Polka.
Aux injonctions restrictives de ce temps de Covid, Nicolas Comment, oppose la vérité – ce qui est vivant, alètheia (ἀλήθεια en grec ancien)- de cette écriture qui déploie ses miroirs pour mieux approcher la nécessaire fabrique des images, la fascination organisée par les réseaux sociaux, faisant ainsi acte de résistance et de cette claire-voyance perçue à travers l’installation référente…Cavale, qui aurait pu tout autant devenir série, feuilleton, roman, nouveau roman, tant ses possibles sont inscrits dans cette structure ouverte du fantasme et de la fiction.
Nicolas propose cette incursion charnelle du fantasme comme une citation où se créé une écoute et un entendement, remettant en perspective la fabrique de toute image, de tout dispositif, afin de révéler l’époque en elle même dans ce qu’elle a de restrictif, de fermé, d’enfermements, de frigidités mortifères… Robbe-Grillet aurait écrit un Régicide… Pour contrarier ce mouvement des ombres et la glaciation de l’époque en fuite vers ses aberrations indignes, Nicolas projette en cordial ses Cavales. Jeux sensuels et intellectuels, poinçonneur des Lilas, point sonneur des lits las…il fallait oser Cavale, retour des mythologies festives au pré carré des années folles… Go West, Californie, Deauville …l’océan et cette voile jaune… Tout revient à la voix de noyé de Nicolas et à ce violoncelle qui habite le temps… marmoréen, Ginsberg, beatnick, la joie des pauvres dans la liberté du temps…Gainsbourgeois aussi…dylanien…Il faut se laisser aller au charme discret de cette bande son qui accompagne l’exposition et qui en distribue l’énergie et l’écoute… Le violoncelle double la voix si profonde, mélancolique, onirique de Nicolas Comment pour induire ce lent et bref voyage de Cavale, voyage qui ne cesse de recommencer pour faire apparaître dans une présence torride (citation de l’Éros) et disparaître l’héroïne aux escarpins noirs, la magnifique et sage Milo McMullen, à la Mustang de cinéma, car c’est bien le cinéma et ses sollicitations multiples, qui est au centre de la tension narrative, de la fiction, et qui provoque le désir d’en suivre toutes les propositions …même celles plus inconscientes qui se coulent dans la structure du fantasme et qui en forme la boucle…
A revoir le petit film en incipit de ces 14 tirages, il y a là, la situation d’une poétique indexée sur le merveilleux traversée par une mystique orphique qui faisait mystère et appel, dans l’objectivité de la narration, et qui se retrouve au premier plan aujourd’hui, en correspondances avec le rêve, la puissance découplée de l’onirisme actif, l’érotisme fétichiste, le jeu avec l’interdit et ses transgressions, le jeu d’une ellipse qui, en tournant sur elle même, (l’image du maëlstrom ou de la tornade) arrive à faire de Cavale, dans cette version sage exposée à la galerie Polka, un objet polymorphe extrêmement intéressant, à la confluence de la photographie, du roman, du film, de la musique de chambre, pour situer tout ce qu’a d’enfermant et de restrictif sur les plans de l’imaginaire et de l’intime cette époque négative, dans ses privations de liberté.
Comment ne pas considérer Cavale alors comme un remède à l’angoisse et aux tentations de dominations, car, c’est en sa liberté et ses sollicitations visuelles que cette installation réconforte et recompose un désir de vivre libre et de jouer aussi librement…
Pascal Therme le 10/03/2021
Nicolas Comment - Cavale ->30/04/2021
Galerie Polka 12, rue Saint-Gilles 75003 Paris