Humain, mais pas assez, “les Feelings on Felt” de Léa Belooussovitch
Le MAMC+ Saint-Étienne présente la première exposition muséale française de Léa Belooussovitch, lauréate de la 10e édition du Prix des Partenaires. Feelings on felt, se concentre sur l’un des axes principaux de sa pratique : des séries de dessins à main levée et au crayon de couleur, sur du feutre textile blanc à partir d’images de presse de nature violente. Esprit es-tu là ?
La trentaine d’œuvres réunies propose de dresser un bilan de cette approche singulière, initiée en 2015, qui réinterprète et donne un nouveau souffle à des photographies issues des médias pour en faire ressortir la part d’humanité qu’il y reste.
Chacun de ces dessins répond à un même protocole. L’artiste commence par sélectionner dans la presse ou sur Internet des images qui nous assaillent quotidiennement, liées à des faits d’actualités dramatiques : attentats au Pakistan ou en Somalie, fusillade au Bangladesh, scènes de guerre en Syrie, drame des réfugiés en Méditerranée… Se concentrant sur la représentation de victimes anonymes blessées ou vulnérables, Léa Belooussovitch soumet ensuite ces images-sources à diverses manipulations (recadrage, agrandissement), avant d’entamer leur transfert sur le support du feutre. Ce travail lent et répétitif d’accumulation des traits du crayon de couleur altère l’aspect lisse de la matière et lui confère un volume duveteux.
Aux confins de l’abstraction, les formes qui émergent de ce report sont des halos colorés qui brouillent la reconnaissance de la scène. Dans ce passage du pixel au pigment, la netteté de l’image initiale se mue ainsi en un dessin flou qui semble contenir et atténuer sous sa surface la douleur de la représentation. Le titre de chaque œuvre ancre néanmoins le dessin dans le réel en situant la ville, le pays et la date de l’événement tragique. La bande blanche de feutre laissée vierge en haut du dessin suggère, quant à elle, le recadrage effectué à partir de la photographie d’origine.
Par ce brouillage des repères et cette mise à distance de la violence, Léa Belooussovitch nous interpelle autant sur notre rapport à l’information que sur le voyeurisme, tout en activant notre imaginaire. Le caractère esthétique et sensible, voire sensuel, de ses dessins dissimule sous un voile pudique de douceur la présence/absence de l’humain confronté aux atrocités et aux soubresauts du monde contemporain. Cette démarche vise à démontrer combien, selon les mots de l’artiste, « la violence de l’information a pris le dessus sur l’humanité que l’événement contient ».
Commissaire de l’exposition : Alexandre Quoi, responsable du département scientifique du MAMC+
Léa Belooussovitch est née en 1989 à Paris, elle vit et travaille à Bruxelles. Après l’obtention d’un Master en dessin à La Cambre en 2014, elle enchaîne les résidences à Bruxelles (fondation Moonens, la fondation du Carrefour des Arts, MAAC en 2017) avant d’être invitée à Bandjoun Station, le centre d’art de l’artiste Barthélémy Toguo au Cameroun. Son travail est montré en parallèle dans des lieux comme le Wiels et l’Iselp. Elle remporte des prix qui lancent son début de carrière : le prix Moonens en 2014, le prix COCOF de la Médiatine en 2017 et le Prix du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles en 2018. En 2019, elle réalise plusieurs expositions collectives (Centre Wallonie-Bruxelles de Paris, Centre d’art Les Tanneries) et personnelles, à la galerie Paris-Beijing à Paris, au centre d’art Image/Imatge à Orthez et au Musée du Botanique à Bruxelles. Son travail est présent dans des collections privées et publiques, comme la Fondation Thalie en Belgique ou le Frac Auvergne en France. Représentée par la galerie Paris-Beijing à Paris, l’artiste a reçu le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour la réalisation de ce projet.
Alexandre Quoi le 12/03/2021
Léa Beloossovitch - Feelings on felt -> 15/08/2021
MAMC+ Musée Rue Fernand Léger 42270 Saint-Priest-en-Jarez
Livre d'artiste de Léa Belooussovitch. Feelings on felt
Coédité avec The Drawer. 100 pages. Prix : 23 euros.