L'AUTRE QUOTIDIEN

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La musique tachiste de Michel Magne par Jean-Jacques Birgé

Réédition par Universal d’un disque du compositeur de musique de films Michel Magne, reprenant, entre autres, son magique disque de musique tachiste de 1959, sous le titre générique “Le Monde Expérimental de Michel Magne”.

En 1959, j'avais sept ans lorsque mon père, alors journaliste à la radio, rapporta le 33 tours “Musique Tachiste” à la maison pour en faire la critique. J’ai ainsi conservé maints trésors discographiques des années 50 comme plusieurs aventures de Tintin (“Les cigares du pharaon”, “Le lotus bleu”, “Objectif Lune”, “On a marché sur la lune”), Blake et Mortimer (“La Marque Jaune”, “Le Mystère de la Grande Pyramide”), “Buffalo Bill”, “Vingt mille lieues sous les mers” (avec Jean Gabin), des disques d’épouvante qui me terrorisaient, bandes dessinées ou romans mis en ondes, ainsi que divers 45 tours bizarroïdes comme le “Miss Téléphone” composé de sons des télécoms de l’époque.

Dans l’attente de recevoir sa réédition, j’exhume le vinyle et découvre à quel point le disque de Michel Magne influença ma vie, tant par ses mélanges d'orchestres jazz, classique et bruitages joués en direct que par les images de Sempé qui illustraient chaque morceau. Je suis resté des heures à rêver devant “Mémoire d'un trou”, “Méta-mécanique” saccadée (ces deux pièces écrites en 1952 sont hélas absentes du cd comme les dessins pleine page du livret original), “Self-service”, “Carillon dans l'eau bouillante”, “Pointes de feu amorties au dolosal”, “Larmes en sol pleureur” et “Concertino triple” (rire, prière, amour), écoutant la musique instrumentale en regardant les dessins. J’en usai le sillon jusqu’à devenir à mon tour compositeur de trucs innommables, oubliant ce disque fondateur au profit des élucubrations zappaïennes, solaires ou mécaniquement molles.

Si l’ensemble des œuvres ressemble à une musique électro-acoustique résolument inouïe, Magne précise qu’il n’y a aucun trucage magnétique, seulement ici le recours au re-recording après les déconvenues de la version live (début d’incendie avec arrivée des pompiers, distraction des interprètes devant la fille nue dans le piano, épuisement de la vaisselle avant la fin du morceau). Sur le 33 tours, se côtoient un solo de cymbalum englobant avec brèves interventions d'ondes Martenot, un contrepoint entre le cymbalum englobant exécutant un enchevêtrement rythmique s'accélérant jusqu'aux limites physiques des moyens de l'exécutant et une voix humaine poussant au paroxysme ses possibilités d'expression, des cloches en contact avec de l'eau en ébulition, le piano de Paul Castanier, la voix de Christiane Legrand, etc.

Tout a été remixé pour la réédition, voire remonté, en favorisant les éléments jazz au détriment du tachisme. C’est beau, c’est propre, brillant, mais je préfère, peut-être bêtement, la version originale du vinyle. Cela ne m'empêche pas d'en faire le disque phare de mes chroniques de disques pour le prochain “Muziq”. Six pièces de 1968, jazz plutôt hirsute, avec Martial Solal au piano et les arrangements inventifs du très jeune Jean-Claude Vannier complètent “Le Monde Expérimental de Michel Magne” se terminant par deux inédits de 1970 et 1972, une délicate “Musique sensorielle” et l’amusant “Mozart en Afrique”. La série “Écoutez le cinéma !” présente encore bien d’autres merveilles que je suis impatient de découvrir, des inédits de Gainsbourg aux musiques des films d’Alain Resnais…

Jean-Jacques Brigé le 15/02/2021
La musique tachiste de Michel Magne