Ces monstres qui nous hantent, un nouveau chef-d’œuvre de Barry Windsor-Smith

À 71 ans, Barry Windsor-Smith publie un nouveau chef-d’œuvre, un roman graphique de 360 ​​pages, qu’il a maturé 35 ans dans son atelier. Une lecture obsédante et troublante autour des figures du monstre. Imaginez une histoire qui regrouperait le meilleur de Captain America, Hulk & Hellboy…

L’auteur explique avoir développé ce livre en même temps que l’un de ses passages les plus remarqués chez Marvel, son Weapon X sur les origines de Logan en 1991 (certaines planches de MONSTRES font volontairement écho à ce Wolverine). Lui qui s’est illustré sur Conan le barbare ou Red Sonja à ses débuts, à travaillé un temps sur les X-Men (dont son mémorable passage sur le destin de Tornade/Storm) avant son Wolverine iconique puis a beaucoup œuvré chez Valiant Comics avec comme point d’orgue Archer & Armstrong.

Barry Windsor-Smith est un vétéran de l’industrie du comics qui arrive avec un des plus beaux (noirs) bouquins de l’année, MONSTRES.

Prévu à l’origine pour la saga Hulk, dans une histoire nommée Thanksgiving qui allait creuser dans l’enfance du personnage pour faire subir le même sort au colosse énervé qu’à Wolverine, en proposant un récit sombre des origines, cherchant du côté de l’enfant abusé et de la violence plutôt que des origines d’accident scientifique que l’on connaît. Barry Windsor-Smith va garder cette histoire de côté pour la retravailler pendant plusieurs années. 

MONSTRES s’ouvre sur une Amérique des années 1960 en pleine ascension, forte de sa victoire sur l’Allemagne nazie, on découvre un projet scientifique hérité de la science du III Reich qui expérimente sur des cobayes humains. Dans la plus pure tradition du complot, un jeune paumé, Bobby Bailey, va faire les frais de ces militaires qui jouent à Frankenstein pour développer leur technologie militariste & leur propre créature. Bobby devient un monstre, un titan silencieux et incontrôlable qu’il faut abattre. Une Amérique à double vitesse qui cache plus d’un traumatisme, lentement révélés par un jeu d’allers-retours temporel.

Qui sont les monstres ? 

Le pauvre Bobby Bailey devenu une créature qui cherche son humanité, véritable incarnation physique de cette Amérique malade de l’intérieur.

Ou Oskar Friedrich, transfuge nazi au passé trouble dont la révélation perturbera le lecteur, mais aussi les militaires qui ne pensent qu’à leur arme ultime, leurs super-soldats. 

Peut-être Tom Bailey, jeune GI américain qui découvre le labo secret où est enfermé Oskar Friedrich et reviendra changé à jamais de cette expérience. Ce jeune soldat qui n’est autre que le père de Bobby qui va faire de son enfance un cauchemar et sera à l’origine de bien des drames qui jalonnent le livre. 

On pourrait parler de bien d’autres personnages, tous aussi effrayants et inhumains au fil des planches de ce livre, sans en dévoiler trop le récit va basculer du fantastique vers l’horreur.  

Au centre de cet imposant album encadré par la fuite d’un monstre, en ouverture & fermeture du livre, se niche le véritable monstre. Celui-ci n’est pas difforme, mais sous les traits d’un père de famille revenu d’entre les morts se révèle être la créature la plus effrayante et repoussante vivante dans un comics. 

Un air de famille 

La violence domestique mise en scène ici est sublimée par l’atmosphère horrifique du titre. Barry Windsor-Smith décale son propos et fait apparaître les monstres entre les lignes, il pointe comment la violence, la pauvreté, et la guerre fabriquent des monstres et détruisent des vies. 

Quelle maîtrise d’écriture, de mise en scène et de talent graphique pour faire d’un homme simple le monstre le plus effrayant. Mari et père, Tom Bailey revient chez lui après avoir été mobilisé sur le front en Europe et reprend sa place de chef de famille ; mais l’homme qui habite la maison de Janet et Bobby n’est plus le même. Violent, psychorigide, jaloux, alcoolique… il va faire vivre un enfer à ses proches, traumatisant sa femme puis son fils, les blessant, mutilant… 

Porté par un dessin élégant, dense, charnel, ce livre déploie ses thématiques fortes sous couvert de récit de genre façon pulp. Le dessinateur joue avec les clichés et les codes pour mieux les détourner et nous aspirer dans son univers glauque et esthétique, dans cette histoire très actuelle, mais qui semble sorti d’un autre temps.  

On retrouve toute la force du trait de l’anticonformiste Barry Windsor-Smith, plein de hachures, de jeux d’ombres et de lumières. Un dessin gratté doublé de cadrages atypiques qui renforcent l’aspect terrifiant de l’ensemble. Pour ce livre, l’auteur propose une narration complexe, mais très lisible, un ensemble à plusieurs niveaux de lecture, de temporalité —Il arrive à mettre en image les souvenirs imbriqués de la créature dans un jeu de passé-présent très fluide et unique en bande dessinée. Le découpage ou le rythme changent selon les chapitres, il propose aussi bien des planches de bande dessinée que des textes illustrés (lettres de Janet) pour mettre en avant certains passages.  

À travers le tragique destin & l’enfance horrible de Bobby Bailey, Barry Windsor-Smith aborde des thèmes comme le racisme ou l’autorité, le dévouement ou le patriotisme, la violence ou la pauvreté. Son livre monstre s’empare de la polysémie du monstre, pour en creuser toutes les facettes. Monstres métaphoriques & monstres bien réels, le dessinateur britannique signe son chef-d’œuvre. 

Thomas Mourier le 30/11/2021
Barry Windsor-Smith - MONSTRES - Delcourt

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