My Jazzy Child feuillette Chomsky en musique avec “Innéisme”

Quarante ans après que les étudiants en linguistique aient souffert avec les thèses de Chomsky sur les universaux en grammaire générative, Damien Mingus (aka My Jazzy Child) fait cohabiter des langues du monde entier, allant de l’occitan à l’hindi… sans pour autant que le collage ne paraisse artificiel. C’est Innéisme chez Akuphone.

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Dans Le Langage et la Pensée, Chomsky avance l’hypothèse des «universaux linguistiques», ces structures communes à toutes les langues, inhérentes à l’esprit humain et à l’apprentissage du langage chez l’enfant. Transposé ici, c’est avec étonnement que ces mariages semblent tout à fait évidents ! C’est ultra-virtuose et ça coule de source, comme pour le duo The Books qui avait réussi ce type de mariage par le passé. Et on évitera de parler de glossolalies, moins reconnaissables, mais quelquefois plus barrées.

Et comme Mingus, sous son masque, My Jazzy Child adore explorer les marges en se tenant toujours sur un fil sans jamais vouloir tomber définitivement dans une cuve étiquetée : ni pop, ni progressive, ni bruitiste, ni folk, ni savant, il est assez curieux pour défricher en gardant un cap qui fait sens. Projeté dans un univers nouveau, utopie, dystopie, l’auditeur reste pantois devant une telle évidence laissée par des petites plages qui déjouent encore une fois les pronostics. Alors que ce genre d’exercice tire souvent vers le paysage sonore, étiré, contemplatif, économe, My Jazzy Child produit des petites boules de nerfs qui étonnent par leur explosivité et leurs dynamiques, grâce en partie à des rythmiques retaillées à la serpe (et pour le coup complètement ré-agencées). On se surprend à siffloter, à remettre en boucle une plage, comme le dernier tube r’n’b des réseaux.

C’est toute l’entreprise qui aboutit à une sorte de musique pop forcément bizarre où moments d’histoires et pièces d’un puzzle géographique se télescopent dans une joyeuseté expressive : beauté tranquille (Alpiant), humour de répétition (La Belle Dame, single!), horreur de série Z (Les 3600)… Si on se doute que le disque est le résultat d’une approche réfléchie, pensée voire existentielle autour des paramètres développés par Chomsky, il s’extirpe aisément de son cocon conceptuel en tenant debout tout seul, par un soin apporté à l’agencement des briques sonores, dans l’improbable absorption de patois et de langues, anglais, hindi, français, ukrainien jusque dans la précision des étincelles produites par les petits chocs entre des traditions si différentes, à 98 % samplées. Cette petite fiesta neuronale met en joie, et montre à nouveau que le mot valise “pop moderne” se pose souvent là où on ne l’attend pas, notamment entre les pattes des ours et de leurs dresseurs paysans, tels qu’évoqués par la superbe pochette de peinture brute d’Adrien Pelletier. On en redemande, et du même coup, vous le recommande. C’est dit !

Elmo Hop le 28/01/2021
My Jazzy Child - Innéisme- Akuphone

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