Des Jours de grève à côté du Père-Lachaise
Les amateurs de trip hop et les fans de Rou Dou Dou, jadis auditeurs d’Autour du monde sur Nova, savent que ce style a bien été inventé ici par Roud’s, précédé quelques années auparavant par Emmanuelle Parrenin et son Topaze - mais du trip hop à la vielle à roue, c’était trop pointu… Retour de la dame fin 2019 sur ce Jours de Grève qui sort seulement maintenant, enregistré en compagnie de Detlev Weinrich.
Si vous n’avez pas vécu les années 70… il vous suffira de lire La France underground – 1965-1979, free jazz et rock pop, le temps des utopies de Serge Loupien paru chez Rivages Rouge, 2018, pour comprendre comment des musiciens ont choisi le folk pour dépoussiérer le répertoire folklorique / traditionnel français avec les mêmes outils que le country-rock US ou les Anglais de Fairport à Pentangle en passant L’Incredible String Band. Ici les héros étaient Malicorne, et Emmanuelle Parrenin qu’on présente. Emmanuelle Parrenin chante (en Français) et joue de la vielle à roue, diverses harpes, du piano à pouces, de l’épinette des Vosges, du dulcimer, des bols chantants. Figure fondatrice de la scène revivaliste folk en France, elle a écumé festivals et MJC et a joué avec Gentiane ou Mélusine, mais aussi Didier Malherbe, Vincent Segal ou Alan Stivell. Elle a joué avec Pierre Bastien. Elle est surtout connue pour avoir enregistré il y a trente ans un disque d’une beauté énigmatique : Maison Rose. Elle avait déjà ressort isa vielle à roue, ses harpes et son épinette des Vosges pour réinterpréter certaines de ses anciennes chansons, ainsi que de nouvelles co-écrites avec Flóp pour Maison Cube, son deuxième album, paru en mars 2011 sur le label Les Disques Bien et un nouveau spectacle, «D’une maison l’autre» — création au Lieu unique, scène nationale de Nantes le 15 avril 2011. Puis à l’instagation de Gilb’R, boss du label Versatile elle a rencontré Detlef Weinrich, plus connu sous le nom de Tolouse Low Trax et membre du club de Düisseldorf, le Salon des amateurs.
Le jumelage d'expérimentateurs de différentes générations n'est pas une idée nouvelle - une précédente sortie sur le label Versatile de Gilb’R l'avait vu faire équipe avec Ariel Kalma, et la série FRKWYS de RVNG est centrée sur ce concept. Mais il est rare qu'une collaboration de cette nature soit aussi naturelle. Les notes de pochette décrivent Jours de Grève comme "un bouquet de musique plein de miroirs, d'yeux, de statues, de portes secrètes, de pièces et de sang", et d'une certaine manière, même une description de cette couleur sonne juste. En ouverture, "Le Couple Coupable", la voix de Parrenin, qui ressemble à un chant, est dynamisée par les percussions krautrock de Weinrich, qui ne cessent de dégringoler. "While Layers Over Black Papers" introduit une lourde ligne de basse dub, tandis que l'ajout de l'incomparable chanteur parisien Ghédalia Tazartès fait bouillir ce breuvage de sorcières.
Tazartès, dont le style vocal a été décrit comme se situant entre "la psalmodie du muezzin et le cri d'un rockeur", alterne entre les ululations à gorge ouverte et les marmonnements des possédés, partageant les tâches vocales avec Parrenin, dont le chant éthéré est mis en boucle dans un autre élément percussif sur des broyeurs downtempo comme "Hephaisto's Breeze". Le saxophoniste Quentin Rollet bourdonne et fait des solos, apportant un contrepoint mélodique crucial aux grooves incessants et vacillants de morceaux comme "Gelbe Schlange", l'un des rares titres de Jours de Grève qui se situe dans le territoire humide de la danse de gauche. Gilb’R a également participé à l'enregistrement. Après les premières sessions à Paris, Weinrich et son collègue Jan Schulte, résident du Salon, ont mixé le matériel à Düsseldorf.
Jours de Grève ressemble à peu de choses - sauf les bonnes, du genre la collaboration d'Areski avec Brigitte Fontaine, l'étrange LP de Danielle Dax en 1984, The Jesus Egg That Wept, ou le post-punk des années 80 sorti sur le sous-label Made To Measure de Crammed. Et plus proche de nous - et trip hop médiéval - le fameux Medieval d’Attica Blues. C’est très bien. Vous allumez BFM, vous coupez le son - et soudain le monde qui n’était caché resurgit. Pas belle la vie ? Alors après, la culture non essentielle pour la REM aux rats…
Jean-Pierre Simard le 21/01/2021
Emmanuelle Parrenin & Detlef Weinrich - Jours de Grève - Versatile