Le nouveau travers (de porc) des Sleaford Mods arrache tout
Les Sleaford Mods ne sont pas Suicide ni les Sex Pistols - quoique la parenté avec les deux est de circonstance, mais un objet sonore non identifié qui dure depuis 8 ans et une carrière en progression constante avec un côté gouailleur qui doit un peu à Slade et beaucoup à Nottingham. Le son qui troue, la voix qui tue. De travers, toujours de travers, jamais d’équerre, tels sont Andrew Fearn et Jason Williamson.
Imaginez un Bernie Bonvoisin cracheur d’hymnes instantanés ou un Michel Cloup qui porterait le slam à incandescence sur fond de mélodies électro-punkoïdes qu’auraient pu signer le Martin Rev de Suicide et vous avez la recette qui fonctionne du duo le plus épatant et vengeur du rock anglais depuis des lustres, les Sleaford Mods. Sauveteurs à eux seuls d’un rock qui ne se veut plus indé mais combatif d’avoir trop mangé et subi avec les Conservateurs au pouvoir et le clame haut et fort, Spare Ribs, leur dernier envoi, est une œuvre conçue en plein confinement anglais - plus dur qu’ici - et fait part des sentiments de Williamson sur la gestion de la crise par les sbire du crétin Johnson et de son cabinet de manchots, un peu comme ici, s’ils attaquaient de front Blanquer, Véran, Salomon, ou Micron.
Son écriture débutée lors de la tournée australienne fin 2019 a fatalement été influencée par le déploiement de la pandémie. La relégation de la musique au rang de non essentielle un peu partout dans le monde a également imprégné d'une couche de colère supplémentaire le disque. Peaufinant le tout avec les moyens du bord, Andrew Fearn et Jason Williamson parviennent à nous offrir un très honorable tracklisting composé de treize tires, à la hauteur de leur beat punk rageux qui fait leur identité depuis leurs débuts.
Short Cummings, All Day Ticket, Out There ou Elocution mordent toutes dents dehors les fessiers des politiciens british conservateurs. Ici, les élites sont épinglées violemment au travers de diatribes plus ou moins ironiques évoquant les conséquences dévastatrices de leur politiques nationalistes et excluantes. Brexit, immigration, élitisme économique et culturel... La pandémie n'ayant fait qu'exacerber ces positions, les titres en sont d'autant plus furieux.
N'en déplaise aux non anglophones, ce sont bien les paroles et leur cynisme qui donnent tout le sel à cet album. Deux duos sont au programme dans les titres Nudge It et Mork N Mindy avec Amy Taylor du groupe punk australien Amyl and The Sniffers et la talentueuse Billy Nomates.
Musicalement, les morceaux reviennent vers un minimalisme qui sied particulièrement à la qualité des textes. La fougue verbale de Jason Williamson n'a que faire d'une orchestration trop ampoulée et c'est d'ailleurs la prose de ce dernier qui fait tout l'intérêt des disques de Sleaford Mods.
Les fans tout aussi motivés que leur groupe préféré seront ravis du résultat. Les novices trouveront une belle occasion de découvrir un groupe en pleine forme et très inspiré. Leur présence quasi ininterrompue faisant d'eux une valeur sûre, il nous tarde réellement de retrouver Andrew et Jason sur scène, les concerts des Sleaford Mods étant particulièrement intenses.
Le minimalisme de la musique qui, ici joue plus punk qu’à l’accoutumée, leur réussit vraiment, avec samples de guitare de ci de là et rythmiques plombées mais entraînantes fait toujours leur force, en évoquant la dureté du temps sur lequel ils surfent avec rage et fluidité., à donner le la d’une époque pourrie qu’ils mettent en mots et en colère pour lui dire son fait. C’est juste du rock’n’roll de base. ET du bon; celui qui fait qu’on se sent moins seul, là où la pensée dominante nous voudrait séparés. Une parole reliée à un corps, rien de plus fort !
On s'est longtemps posé la question de comprendre comment un duo si profondément anglais pouvait trouver un intérêt aussi marqué en dehors de son pays d'origine ? Comment un public belge, français ou suédois pouvait se sentir concerné par les références typiquement britanniques qui essaiment sur les albums de Sleaford Mods ? Une grande partie de la réponse tient dans l'authenticité du projet. Porte-parole assumé de la "working class", Sleaford Mods ne vend aucune image si ce n'est la sienne et celle de son vécu. Dur de ne pas être séduit par leur démarche quand elle est si sincère. De manière paradoxale, on sait que Sleaford Mods n'est jamais aussi bon que quand les temps sont mauvais. Vu la période qu'on traverse, on peut facilement déduire qu'on tient là un excellent disque. Caramel les travers ?
Jean-Pierre Simard le 13/01/2021
Sleaford Mods - Spare Ribs - Rough Trade