Thurston Moore marche encore auprès du/avec le feu

Quarante ans de carrière (avec ou sans Sonic Youth), des projets parallèles par dizaines et sept albums solo; le Thurston Moore cru 2020 s’affiche bruitiste as usual, mais pas que. By the Fire, un auprès du feu pas si relaxé que ça.

Que pouvait-on attendre du septième album de Thurston Moore ? A priori, on n’avait pas d’avis, mais voici déjà les circonstances de l’accouchement - auprès du feu … Enregistré ces derniers mois à Londres, By The Fire voit le guitariste américain s’entourer d’invités de marque : Deborah Ann Googe de My Bloody Valentine (basse, voix), son ex-bandmate de Sonic Youth Steve Shelley (batterie) Jon Leidecker aka ‘Wobbly’ de Negativland (claviers, électronique), James Sedwards (guitare), Jem Doulton (batterie). Si Dreamers Work ou Siren laissent entrevoir une facette mélodique et apaisée, Breath et They Believe In Love ([When They Look At You) sont là pour nous rappeler que le feu Sonic couve toujours et soufflent sur les braises de Daydream Nation ou de Goo, tandis que Cantaloupe évoque avec surprise le hard-rock seventies. Quant à Hashish, il attend toujours sa législation… Soient donc neuf morceaux, dont quatre dépassent allègrement les dix minutes.

Développant depuis quatre décennies une foisonnante discographie en marge de Sonic Youth, son groupe légendaire mis en pause en 2011 (a priori de manière irréversible), il a enregistré une vingtaine d’albums au cours des seules dix dernières années. Mais seulement sept sous son nom.

Soul Kitchen affirme ceci : Les neuf chansons de ce septième disque sont autant de bouffées d’air dans ce monde suffocant. Guidé par Albert Ayler, l’Américain fait de manière formidable ce qu’il sait faire. C’est à dire construire des chansons, longues, pour mieux les casser et les reconstruire.

Pendant que les Inrocks trouvent l’album en demi-teinte… (mais là, on sent l’imitation des magazines anglais qui démontent quand ils n’ont rien à dire). Parce que, quand même, le gars Thurston sexagénaire toujours attentif au bruit et qui en délivre en quantité et qualité depuis huit lustres avait trouvé la bonne mesure avec Sonic Youth, sa compagne de bassiste - barrée pour tromperie aggravée - et justement remplacée par Debbie Gouge qui œuvrait de la même manière au sein de My Bloody Valentine à faire passer le gros son pour moins qu’il n’était… Ouip, le monsieur fan de jazz, de poésie et de musique contemporaine a bien croisé le fer avec beaucoup de figures de ces scènes, sans jamais y trouver de différence avec le travail du groupe, une autre chimie peut-être, mas pas de différence. Alors, oui, on l’aime pour sa façon de faire/défaire comme le Albert Ayler de New Grass, dont on vous a parlé dernièrement (ressorti sur Third Man, label de Jack White), pour nous avoir envoyé le son renouvelé des quelques années en concert à pousser les potards à fond pour en faire sortir des mélodies qui trouent ou du bruit qui caresse les neurones comme pas deux.

On va dire que c’est son côté féminin qui nous plaît, à aller au-delà du bruit blanc pour dire quelque chose que les autre ne délivrent pas et que cela se joue ici sur de nouveaux tons. Mais bon, Kim Gordon à la basse, ça le faisait bien mieux. Non ? La grande absente n’en est que plus audible par le biais d’une autre - mais ça le fait. Pour cette fois. Beau disque d’un sexagénaire marqué par l’urgence d’un rock qui prend le loisir de s’affirmer pas fini, avec des trous, des tâches et de l’espace pour y mettre son esprit. Le vôtre ?

Jean-Pierre Simard le 29/09/20220
Thurston Moore - By the Fire - The Daydream Library Series Record.

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