Flashback du jour : le Black & White des Stranglers
Oubliant un moment la provoc à deux balles machiste et rock and roll, les Stranglers commettent en 1978 leur premier album abouti qui met le doigt sur la menace réac vécue par l’Angleterre d’alors : Hello Maggie ! et proposent une vision two tone du monde qui fait son petit effet. Souvenir d’un grand album : Black & White …
Après deux albums - le grand Rattus Norvegicus et son successeur moins bien envoyé, No More Heroes - malgré quelques singles extraordinaires, The Stranglers se plaçaient sans peine parmi les plus grands groupes de l’ère punk, se hissant régulièrement dans le top 10, malgré la provoc de leurs paroles sexistes et leur attitude macho. Mais, en 1978, ils risquaient de devenir une version grossière des Doors, dont ils semblaient trop friands des riffs de clavier. Mais, avec la verve régulière qui marquera la plupart des disques qu'ils sortiront, The Stranglers renversent la vapeur sur leur troisième album, l'extraordinaire Black and White.
Avec sa pochette à la fois sobre et bien découpée et une division en deux faces "noir" et "blanc", Black and White se distingue immédiatement par un son et une attitude plus durs, et pour une fois une absence de titres sur “l'horreur des femmes”. Au lieu de cela, le bassiste Jean-Jacques Burnel a accouché des réflexions sur le machisme homo-érotique de Yukio Mishima (Death and Night and Blood) tandis que le chanteur Hugh Cornwell s'est penché sur les chars (Tank), les robots (Rise of the Robots) et, euh… la Suède (Sweden). En cours de route, des titres comme Threatened, In the Shadows et Curfew ont mis en avant leur vision de la menace pesant sur la société anglaise, le tout aidé par une excellente production de Martin Rushent.
A la fois audacieux et minimal, il a clairement influencé le travail à venir de Gang of Four et de Joy Division. Dans le mix, on peut entendre des bouts d'électronique et de clavier (et des voix effrayantes et accélérées) qui culmineront dans la paranoïa extraterrestre synthétisée de leur ère Meninblack. Après Black and White, The Stranglers ont définitivement abandonné le punk et leurs racines pub-rock, embrassant avec aplomb la pop des années 1980, menée par les claviers (mais pas avant d'avoir enregistré leur plus grand album, le fantastique The Raven).
Ceux qui s’intéressent à Black and White sont invités à récupérer tous les singles et EPs qui en ont entourés la sortie. Aucun autre groupe n'avait jusqu’alors accompagné son album le plus abouti d’une version monstrueuse du Walk On By de Bacharach and David', d’un boogie punk bien crétin appelé Mean to Me, et, surtout, d’une collaboration avec le grand trad-jazz britannique George Melly appelée Old Codger, qui réussit à être à la fois sale et incompréhensible. Essentiel et toujours décoiffant !
Jean-Pierre Simard le 7/05/2020
The Stranglers - Black & White - United Artists