Le jazz au présent de l'émotion restituée de Collocutor
Continuation est un album mémorable qui restitue l'expérience émotionnelle et la résilience vécue par la leader du groupe Tamar Osborn AKA Tamar Collocutor, canalisée et explorée par le groupe. Journal de crise et journal de bord à la fois.
Le troisième LP du groupe explore l’après du deuil, après les éloges de la critique pour The Search en 2017, autant de la part de The Wire, Vinyl Factory et Gilles Peterson. Continuation est un album sur la façon de faire face au deuil et à la perte/au chagrin : la musique décrit le passage de nombreux et surprenants états émotionnels rencontrés, allant de la reconnaissance, en essayant de maintenir une vie normale, le besoin de parfois mettre un bouton pause sur le monde/l'existence et de laisser les vagues de sentiments s'écraser et rouler, la colère et la confusion soudaines, pour finalement aller de l'avant en jouant avec l'incertitude). Mais de l’avant, tout de même.
Tamar Osborn a décidé que pour mener son projet à bien, il fallait changer la structure du groupe et passer du septet au quintet pour Continuation. Le changement crée un nouvel espace pour que les musiciens puissent s'exprimer pleinement au fil des secousses et saccades de l’album. Le quintette permet une plus grande improvisation en groupe, basée sur quelques motifs et donne ainsi aux musiciens plus d'espace pour converser. Les morceaux Lost & Found et en particulier la chanson titre de l'album, Continuation (le seul morceau avec 3 cors), rappellent les arrangements complexes de The Search. C'est un album profondément personnel, dont l'écriture a servi à Tamar pour traiter et comprendre l'expérience et le besoin de canaliser les sentiments. Le résultat qui explore à grands coups de jazz nocturne la palette des sentiments vécus/traversés lors de ce moment particulier est assez large et impressionnant. On y retrouve autant des séquences lourdes et dérangeantes à apprécier - voir le fuzz jazz-rock post-punk discordant de The Angry One, qu’une explosion agressive de cuivres aiguisés comme des rasoirs, de guitares sordides et de batterie en sueur - mais en général, les morceaux qui restent le plus longtemps ancrés dans la mémoire sont ceux qui se mélangent de façon menaçante à la poursuite d'une libération aussi douce-amère que lente.: à savoir le mécanisme en cours de la résilience. et quand ça fonctionne vraiment, on y atteint des sommets, comme sur Pause, Continuation et l'ultra enfumé Deep Peace. Que dire ? Jazz, nouveau, féminin, allumé et qui résonne longtemps; une parfaite description du trouble contemporain.
Jean-Pierre Simard le 2/09/2020
Collocutor - Continuation - On The Corner Records