“Fetch The Bolt Cutters” ou la rage expansive de Fiona Apple
Marre du patriarcat, marre des femmes battues confinées et des pas finauds, aussi en place que navrants ? Avec Fetch The Bolt Cutters, son cinquième et premier album depuis 8 ans, Fiona Apple change de ton et livre un album aussi furax que remarquable. Envoi…
Déjà dans les années 90 Fiona était un cas. J’en témoigne pour avoir été salement bousculé en concert à ce moment-là, seule avec un piano dans un showcase … Genre un ouragan qui se lâche d’un coup, dans les bonnes circonstances pour elle. Et puis, passé à d’autres genres musicaux plus numériques, j’avais tout simplement oublié. Mais un jour intrigué par le générique de The Affair, j’avais lu les crédits et retrouvé l’émotion, comme un diesel qui après avoir chauffé, s’ébroue à pleine vitesse et grave dépote…
Alors l’annonce d’un nouvel album, le premier depuis 8 ans - passées à écrire des BO et musiques de générique, j’étais intrigué et j’ai regardé qui jouait là… pour trouver le nom de Sebastian Steinberg des regrettés Soul Coughing, d’excellente mémoire (toujours en concert) et ça a fait tilt … comment ce mec allait apporter sa touche jazzy-groove électro dans l’univers de la dame ? Pour découvrir un truc vraiment virulent, qui balance sa rage en lui donnant toutes les raisons de s’exprimer - après avoir été longuement violenté pour son étrangeté ou ses directions musicales, en tant qu’ado, puis que femme… pour choisir de prendre son destin en main, en mettant les lézards sur la table - ces lézards sont justement tous ces titres qui montrent en puissance en faisant un gigantesque doigt d’honneur à tous les persécuteurs - dorénavant proscrits de son entourage. Exit le mari abusif, exit les branleurs de toutes sortes, en mode #MeToo - à savoir plein la gueule et qu’on n’y revienne plus; ça a assez duré comme ça. No More Mr Nice Guy ! Fetch the Bolt Cutters : en gros, un bon coup de cisailles là-dedans et qu’on en finisse ! Et pour cela, elle ouvre en grand le registre de sa/ses voix, du murmure au cri, du feulement à la modulation qui tue. On la retrouve là, poussant les registres d’une voix impériale qui plus jamais ne s’en laissera conter, et trouve au passage d’inusités modes d’expression. Bonheur !
Fiona demeure la porte-parole des femmes victimes de violences en tous genres dans une ère qui a vu naître de nombreux témoignages et de soulèvements ; car il est temps que la femme exprime tout ce qu’elle a enduré à cause d’une société patriarcale qui stigmatise tout sur son passage. C’est la parfaite bande-son d’une colère bien contenue qui lâche enfin les vannes dans un registre mi-Kate Bush, mi Tom Waits période Swordfishtrombones.
Et le catalogue est impressionnant qui dévide les abus en viols, sexisme, machisme ; tout le catalogue d’une société patriarcale qu’elle fustige avec une conscience qui n’a d’égale que le talent déployé. Fetch The Bolt Cutters défie le patriarcat sous toutes ses formes, témoignage d’une guerrière qui se bat contre le capitalisme et tous les démons qui l’ont hanté jusqu’ici, avant de finir sur un : Aw fuck it comme si elle allait lâcher prise quand en fait, elle reprend le contrôle, en haussant le ton sur une société aveuglée par les discriminations sexistes infligées à la gente féminine. Grand album autant pour les thèmes que le virage musical bien cognos qu’il offre. Les tripes, en mode arty, mais pas en mode pop art… Féroce, une fois : ladies first !
Jean-Pierre Simard le 24/04/2020
Fiona Apple - Fetch the Bolt Cutters - Epic/Sony