Jazzman sort avec brio Roscoe Weathers de l'oubli

A tous les amoureux du spiritual jazz d’aujourd’hui, le label Jazzman propose la découverte d’un musicien qui a tracé sa route sans la reconnaissance des labels ni des médias d’alors : Roscoe Weathers. Si vous êtes fan du post bop et du son beatnik, cet album est pour vous. Mais pas seulement. Histoire.

Roscoe Weathers himself… 

Roscoe Weathers himself… 

Né à Memphis, Tennessee, en 1920, multi-instrumentiste, Roscoe Weathers travaillera avec Vern Mallory et tournera avec le pianiste et prolifique arrangeur Fletcher Henderson, qui prendra sous son aile Coleman Hawkins, Benny Carter et Roy Eldridge. Weathers travaillera également aux côtés du pianiste et chef d'orchestre Jay McShann, dont le groupe comprend Charlie Parker. Une tournée en Europe, une visite au Mali, un séjour à Seattle et des concerts plus reconnus à Los Angeles, San Francisco et Santa Monica font partie du programme avant que la Beat Scene n'offre un travail régulier et la possibilité de se produire lors de jam sessions communes en présence des poètes Lawrence Lipton et Shanna Baldwin-Moore. Son travail de flûtiste et son expérience lui auraient été utiles, car Ted Jones, Gregory Corso et LeRoi Jones ont fait passer Greenwich Village au niveau supérieur. Parmi les musiciens passionnants à l'origine de ces paroles, il y avait Walter Bowe, Ahmed Abdul-Malik, Danny Barker, Ephie Resnick et Kenny Davern.

Nous vous présentons ici une collection d'archives couvrant les années 60, compilée par le label Jazzman. Roscoe Weathers, avec son quintette et son orchestre, a produit un album intitulé His Sterling Flute and Piccolo Around the World et plusieurs 45 tours dont 9 des 11 titres inclus sont apparus pour la première fois, entre 1959 et 1971. Pour les deux autres titres, la note de la pochette de l'album fait référence à un album intitulé Roscoe Weathers Quintet qui pourrait en effet en être la source. Blue Cha Cha apparaît en 1959 et 1962 - récompensé par trois étoiles à ces deux occasions par Billboard - avec Dandelion Wine plus tard en 1971, année où l'on pourrait supposer que l'album est sorti, les autres dates se situant dans les années 60 avec Root Flute attirant l'attention du magazine Cash Box d'octobre 1960.

Poem for Anna est le premier titre, et le seul qui ne soit pas signé Weathers. Les accords roulants du piano et les rythmes latins sont exquis dans leur exécution et se prolongent pendant toute la pièce, le piano prenant les commandes, faisant basculer le son vers un ragtime à consonance latino-américaine, avant que Penny Whistle Montuna ne montre le bout de son nez, co-écrit par le blues boy, Bill Johnson. Yours Alone fait ensuite son chemin en sonnant Blue Beat - ce qui en a fait un préféré des collectionneurs dans sa version 45T de 1967 en deux partis sur les deux faces.

Afro Latin Junto II est calibré piste de danse et Root Flute s’avère un parfait honky-tonk, avant la comptine Blue Flute. Le sifflement aigu du bobwhite, dont il est fait référence dans The Bob White Bird rappelle la collaboration entre Cándido Camero et Dizzy Gillespie dans Manteca. Echoes arrive avec une ambiance plus jazzy avant de s'énerver avec des congas, des vibes et des échanges de flûtes. Dandelion Wine, le plus ancien titre, transporte avec sa trompette et son saxophone, un sous-courant bluesy de l'ère spatiale pour le Weathers' Orchestra. L'ambiance très années 60 s'accorde avec les autres choix de l'album. Blue Cha Cha", qui apparait en 1959, estun délicat Cha Cha Cha cubain, populaire à l'époque et qui s'intègre admirablement à la scène Beat. Le terminal I'll Remember Clover, se déroule comme un court-métrage qui taille sa route à travers des textures proche de celles employées par Johnny Lytle, au cours d’un trip de presque 9 minutes.

Cette compilation est assez significative ( le contraire serait hasardeux !) d’un artiste qui a persisté à sortir sa propre musique, à une époque où il y avait beaucoup de créativité dans l'industrie, mais peu de possibilités d'enregistrement avec les gros labels. Roscoe Weathers a fait de la musique facile à apprécier aujourd’hui avec son groove tournant et ses sons afro et latinos. Ne seraient-ce que pour Afro Latin Junto II Echoes et The Bob White Bird , la découverte de ce second couteau méritant vaut pour souligner sa différence d’avec Yusef Lateef et de Stan Getz. L’histoire est détaillée dans les impressionnantes notes de pochette, celle-ci reprenant au feeling, celles de Blue Note ou Prestige. Une découverte d’importance.

Jean-Pierre Simard le 11/12/2020
Roscoe Weathers - I’ll Remember - Jazzman Records

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