Cent coupures pour raviver l'histoire de la violence par Martin Bladh et Karolina Urbaniak

"Je remarque ces légers poils blonds duveteux qui couvrent les entailles anormalement omniprésentes sur les avant-bras des adolescents du XXe siècle dans le monde entier ; comme un exemple de nos (b)anales tragédies".

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The Torture of the 100 Pieces de Martin Bladh et Karolina Urbaniak (Infinity Land Press, 2020) est une ode à la transgression de la dissolution physique, du découpage rituel et de l'intellectualisation du théâtre de Grand Guignol que l'on retrouve tout au long des 150 dernières années de violence aussi continuelle que durable. Le livre contient un certain nombre de ces entailles/coupures exceptionnelles tirées d'écrits sur la violence, les traumatismes et la brutalité, ainsi qu'une sélection de rituels destructeurs d'automutilation corporelle de Bladh, photographiés en détail par Karolina Urbaniak. Tout cela superbement introduit par Jack Sargeant.

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Les photographies d'Urbaniak, qui rappellent les études sur les fluides du sperme et du sang d'Andres Serrano et ses coupures profondes issues de l'ouvrage Morgue Work, ornent les séquences du livre et, au plus fort de l'intrigue, capturent les vieux bandages de Bladh qui sèchent, disposés comme des peintures perverses de Cy Twombly, avec un clin d'œil à la palette de Giorgio Morandi. Ici, le plasma décoloré s'amuse le long de bandes de coton perforées et collantes vers un beige plaquettaire. Bladh, l'Homme des plaies ou le tamis humain omniprésent dans Carnie talk nous fait découvrir une série d'écrits montrant son intérêt pour le tueur en série britannique Dennis Nielsen, l'artiste nihiliste japonais Yukio Mishima et surtout l'écrivain philosophe George Bataille auquel les auteurs ont subtilisé leur titre tiré de l'introduction des Larmes d'Éros.

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"Cette photographie a eu un rôle décisif dans ma vie. Je n'ai jamais cessé d'être obsédé par cette image de la douleur, à la fois extatique et intolérable. Je me demande ce que le marquis de Sade aurait pensé de cette image, Sade qui rêvait de torture, (qui lui était inaccessible) mais qui n'a jamais assisté à une véritable séance de torture. D'une manière ou d'une autre, cette image était sans cesse sous ses yeux. Mais Sade aurait voulu la voir dans la solitude, au moins dans une solitude relative, sans laquelle l'effet d'extase et de volupté est inconcevable. Ce que j'ai vu tout à coup, et ce qui m'a emprisonné dans l'angoisse - mais qui en même temps m'en a délivré - c'est l'identité de ces parfaits contraires, l'extase divine et son contraire, l'horreur extrême. Et c'est là ma conclusion inévitable à une histoire d'érotisme".

Georges Bataille, Les Larmes d’Éros

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Si vous êtes aussi familier avec la mort par 1000 entailles qu'avec le pouvoir historique de 100 soleils, vous pourrez saisir directement le sens de cet ouvrage qui, s'il n'était pas articulé autour la violence, resterait ésotérique. La violence, contrairement à la spiritualité, est beaucoup plus accessible et, en s'appuyant sur le commentaire de Stockhausen sur le 11 septembre, l'agressivité dans la psychanalyse de Lacan et la Psychopathie Sexualis de Kraft-Ebing, on peut fusionner ces motifs en un canon de pensée dans lequel s'inscrivent toutes les perversions des XXe et XXIe siècles, emballées en un seul volume. Livre de la Mort et non Livre des Morts, il s'adresse aux curieux des marges et des extrêmes qui remettent en question la docilité humaine. Cela tient moins de la curiosité morbide que de la connaissance mise à nue d'une stratégie oblique - un scénario que J.G. Ballard et Francis Bacon pourraient apprécier à sa juste valeur.

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En résumé, The Torture of the 100 Pieces est un exemple exceptionnel de théâtre de la cruauté se présentant sous la forme d'un livre. Huit ans de travail ont été nécessaires à sa réalisation, et sa valeur dépasse de loin l'intention première de ses auteurs, en ce sens qu'elle sous-tend une considération universelle de la souffrance et de la violence. Des actions de Bladh et des clichés d'Urbaniak résulte la visible bascule d'un monde, passé de l'auto-congratulation précédente à l'actuel resurgissement de la misanthropie et de la lâcheté de l'esprit humain. Prenez toujours ça dans les gencives…

Jean-Pierre Simard le 30/11/2020
Martin Bladh & Karolina Urbaniak - The Torture of the 100 Pieces -
Infinity Land Press

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