"Je suis le rêve, je suis l'inspiration", disait Victor Brauner
Hybridation des genres, rêves reformulés, trajectoire unique, solitude et pauvreté… telle se présente la partition du peintre (dessinateur et sculpteur) Victor Brauner, un temps surréaliste. Mais avant tout voyant de son œuvre et de son siècle au fil de ses propres intuitions.
Traversant à marche forcée les avant-gardes du XXe siècle jusqu’à sa mort en 1966, Brauner aura essayé tour à tour expressionnisme, constructivisme, dadaïsme et enfin surréalisme, de 1933 jusqu’à son exclusion en 1948, pour avoir défendu un Roberto Matta en disgrâce auprès de Breton, avant de trouver une veine spécifique mêlant ses expériences de la guerre et un emprunt aux arts premiers. La première clef de son œuvre est d’avoir été élevé en Roumanie par des parents spirites qui l’ont très tôt introduit à la lecture de ses rêves. Brauner voyant comme Rimbaud et, surréaliste de fait… Et sa vie d’artiste tournera autour des thèmes du spiritisme, de la magie et de l’ésotérisme. Plus loin qu’Ernst, Tanguy et Magritte, avec une passion pour l’érotisme crû comme révélateur de l’hypocrisie de la société, la période de Seconde Guerre mondiale le voit inventer le Congloméros être sexué et hybride. Un peintre d’actualité donc… Au MAM, on peut donc découvrir sa singulière rétrospective en 192 tableaux, dessins et sculptures; une redécouverte, sa dernière exposition ayant été vue pour la dernière fois en 1972 à Paris.
Ma peinture est autobiographique. J’y raconte ma vie. Ma vie est exemplaire parce qu’elle est universelle. Elle raconte aussi les rêveries primitives dans leur forme et dans leur temps.
Victor Brauner
L’autre clef de son œuvre se trouve dans une vision politique assez clairvoyante des travers de son siècle, puisque juif roumain réfugié à Paris, il fuira une seconde fois le nazisme, en se réfugiant près de Gap, dans un village des Hautes-Alpes. L’iconographie de l’artiste roumain se caractérise par son opposition à l’oppression fasciste. Dès 1932, L’Orateur montre un mannequin terrifiant, tenant fièrement un drapeau, symbole de la montée du nationalisme et s’adressant à une foule qui l’acclame. Cependant, la figure emblématique de l’alliance entre bourgeoisie et tyrannie est Force de concentration de Monsieur K. (1934), cette version grotesque d’Ubu, le héros de la pièce d’Alfred Jarry. Symbole du délire du pouvoir et de l’absurdité des hiérarchies politiques, le personnage de Brauner, nu et obèse, au corps recouvert de minuscules poupées en celluloïd, dément le dicton selon lequel le ridicule ne tue pas. À la différence de la caricature politique – que le peintre pratique par ailleurs (Hindenburg, 1935-1936) –, Monsieur K. est une image universelle de l’autorité écrasante, décrite par André Breton comme l’exemple du combat de l’artiste contre « toutes les puissances d’asservissement humain ». Breton, à qui Brauner fait, dans une lettre de 1940, cette magnifique déclaration : « Je suis le rêve, je suis l’inspiration. »
Sa dernière période ( 50/60) le voit enfin accéder à la notoriété avec des œuvres qui seront les plus vendues de son vivant. Elles lui permettent, la cinquantaine passée, de sortir enfin de la dèche et de s’acheter une maison en Normandie. Brauner y fait feu de tout bois. Il invente des personnages hiératiques aux coiffes de grands manitous, joue sur les métamorphoses et l’animalité, mixe les mythes et la psychanalyse dans des tableaux qui évoquent des bas-reliefs mexicains ou les superpositions évolutives des totems colorés des Indiens d’Amérique. Au final, comme dans les danses rituelles, tout son monde finit en transe. Il est donc temps de le redécouvrir, tant son mix culturel annonce déjà Jean-Michel Basquiat… Très beau catalogue édité par Paris Musées (312 p., 44,90 €.)
Jean-Pierre Simard le 13/10/2020
Victor Brauner - Je suis le rêve. Je suis l’inspiration -> 10/01/2021,
Musée d’Art moderne de la Ville de Paris Paris