Meuh, ou quand l'Homme de Paille nie la symétrie avec Gustav Willeit
Le XXIe siècle est impitoyable avec les formes classiques de la pensée et de la représentation. A la symétrie qui faisait le bonheur du classicisme a succédé en science et en politique l’asymétrie et la rupture de phase, voire en histoire des sciences, la théorie de l’Homme de Paille. Tout cela mettant à bas définitivement et les représentations de l’âge classique et la façon d’agir aujourd’hui. Il en surgit alors des débats biseautés et autres combats inégaux.
La rupture de symétrie est une notion fondamentale des sciences contemporaines. Elle signifie le passage brutal par un état dans lequel apparaît un nouveau paramètre qui n’existait pas précédemment. Ce passage s’appelle transition de phase.
Ainsi, l’évolution du concept de symétrie depuis ses origines platoniciennes jusqu'aux développements de la physique contemporaine est parlante. Chez Platon, la symétrie est liée à la théorie des Idées. Le démiurge l'utilise pour créer le monde du devenir à partir des solides parfaits. La symétrie y est synonyme de juste mesure…
En histoire des sciences, il existe une modalité du dialogue entre philosophes et sociologues des sciences, celle de la polémique, de l’invective et plus globalement de tout ce qui peut prendre la forme d’un « débat immobile ». On est ici dans la situation du dialogue de sourds où les partis en présence donnent l’illusion de l’échange pour mieux écarter la possibilité d’une critique rationnelle. Une stratégie argumentative fréquemment observable dans cette situation est celle dite de l’ « homme de paille ». Elle consiste à faire valoir son point de vue en construisant de toutes pièces un opposant auquel on prête des positions suffisamment caricaturales pour s’en débarrasser d’autant plus facilement. Les sociologues des sciences postkuhniens ont fait un usage intensif de cette pratique vis-à-vis tant des sociologues mertoniens que des philosophes des sciences. Ils ont pendant très longtemps fait de l’opposition à la « représentation standard de la connaissance » un vecteur d’identité collective tout en se gardant bien de s’interroger sur la réalité effective de cette représentation attribuée aux philosophes.
En physique, la notion de symétrie qui est intimement associée à la notion d'invariance, renvoie à la possibilité de considérer un même système physique selon plusieurs points de vue distincts en termes de description mais équivalents quant aux prédictions effectuées sur son évolution. On en est aujourd’hui à la supersymétrie qui postule l'existence pour chaque boson d'une particule fermionique associée et réciproquement, a été introduite pour la première fois en 1971. Elle permettrait de résoudre naturellement le problème de la hiérarchie ca , dans ce cas on peut montrer que la correction à la masse du Higgs par une particule donnée est toujours annulée par celle de son partenaire supersymétrique. À ce jour il n'existe pas d'autre proposition résolvant le problème de la hiérarchie et la supersymétrie est donc devenue un concept majeur de la physique théorique depuis cette époque.
Comme la supersymétrie n'est pas observée dans la nature il est alors nécessaire d'introduire en même temps un mécanisme de brisure de la supersymétrie. Il existe beaucoup de tels modèles et il ne sera possible de discriminer entre eux qu'une fois la supersymétrie observée, si elle est effectivement observée. Ils ont néanmoins tous en commun de briser spontanément la supersymétrie dans la mesure où ces modèles contiennent toujours une restauration de la supersymétrie à haute énergie.
Toutes les images illustrant ce papier sont issues du reportage de Gustav Williet intitulé “Perspe-perspective” qu’il définit ainsi :
Le titre de cette série, Perspe, provient d'un fragment du mot allemand "Perspektive" (perspective) : un énoncé programmatique faisant allusion au travail de composition, qui repose sur une simulation exploitant pleinement les possibilités offertes par la technologie numérique. L'artiste trace une perspective non naturelle, c'est-à-dire une perspective " idéale ", inventée, qui agit et crée des lieux "différents" en reflétant l'image, atteignant ainsi une symétrie parfaite souvent perturbée par un élément discordant.
Et à bien vouloir observer le monde actuel, on voit vite que comme un sac retourné dont on voit les coutures, c’est finalement l’élément discordant qui fait signe doublement : parce qu’il introduit un nouvel élément qui, à lui seul, détruit l’ordre précédent. Et c’est toute la beauté du travail qui semble montrer une très classique notion de symétrie tout en en dynamitant la perspective globale. A montrer l’ordre ancien qui cherche invariablement à se perpétuer, l’observateur voit surtout le grain de sable (la vache, le piéton ou le simple élément discordant qui en fait le sel et l’actualité.
Jean-Pierre Simard le 7/02/20
Perspe de Gustav Willet