JPEGMAFIA sort le hip hop de l’ère Drake

Gros succès du Pitchfork Avant-Garde de l’an passé, où le public reprenait en chœur les tubes de son second album “Veteran”, cet ex-engagé de l’Air Force pour 4 ans en est ressorti avec une ironie cinglante et un discours politique qu’il a mis en place sur “Black Ben Carson”, son premier album, avant l’élection de Trump. Aujourd’hui Peggy (diminutif de JPEG), revient avec “All My Heroes are Cornballs”, un essai sur l’artiste à l’époque des média sociaux – et ça charcle méchant.

En 2016, on le remarque avec Black Ben Carson, un album dystopique et engagé, composé de sons dissonants, de punchlines politiques et d'un sens de l’humour absurde au possible, qui a pour ambition de "sortir le hip-hop de l’ère Drake". Peggy veut choquer mais surtout appeler à la résistance, alors même que le candidat Donald Trump est sur le point de gagner la course à la Maison Blanche.

"Je regrette à peu près tout", blague le rappeur en se remémorant cet opus. "C’est ce que je voulais sortir à l’époque, une musique brutale. [...] Je pense que [l’album] contient plein de choses intéressantes." Avant d’ajouter : "Ce que je crée maintenant correspond à une version plus aboutie de moi-même."

 À tout juste 29 ans, le rappeur a déjà vécu plusieurs vies, comme si chacun des tatouages qui ornent ses bras portaient le souvenir d’un moment passé, d’une autre existence. Et c’est peu de le rappeler, mais Peggy est à la fois producteur-compositeur et rappeur, tout en étant un ingénieur du son très réputé à Baltimore, la ville qui l’a vu naître, avant qu’il n’émigre en 2017 à Los Angeles. A l’instar de Kaytrenada et du Childish Gambino de This Is America, il se situe loin du gangsta rap, sa vision politique de l’histoire l’empêchant de se vautrer dans les clichés. Il passe même le temps de son dernier album à méditer avec un humour certain sur la célébrité et l’usage des réseaux sociaux. Une idée de mises en contact et de partage avec ses followers qu’il utilise depuis des années.

Il confiait même ceci à Konbini l’an passé : Que ce soit dans la vie réelle ou sur internet, c’est important pour lui d’être proche de ses fans, de communiquer régulièrement avec eux sur les réseaux sociaux. "J’essaie de maintenir ce lien pour ne pas devenir fou et bizarre, et commencer à dire aux gens de ne pas me regarder dans les yeux et des merdes comme ça", s’exclame-t-il. "Je pense que c'est une bonne idée de maintenir ce type de relations avec ceux qui paient tes factures. C’est la moindre des choses !" Plus étonnant, il confie maintenir aussi cette connexion grâce à Google Translate, dont il s'est servi tout au long de sa tournée européenne pour communiquer avec son public. "Si j’ai quelque chose à dire, je l’écris ici, explique-t-il en désignant son téléphone portable, et je passe la traduction sur haut-parleur." Inutile de dire que la mise en abîme est assez vertigineuse et que le son tabasse – autant par la multitude des approches que par la versatilité des samples utilisés pour le dire. Et on se balade d’un climat à un autre, de la coolitude pianistique ici, à l’industriel, par là, sans coup  férir.

Beta Male Strategies a des arrangements instrumentaux qui ressemblent à une bande son de jeu vidéo de l’enfer, avec la boucle sans fin, le refrain déformé et l’atmosphère caverneuse. Il vise les guerriers du clavier scandalisés qui apparaissent dans ses posts, les appelant à se manifester à lui directement : "Dis ce que tu as dit sur Twitter maintenant / Tu es seulement courageux avec une tablette et une souris / Tu ne parlais pas comme ça quand je te mettais dans le fion / Ne quitte pas la maison / Ne te fais pas coiffer par une négresse en robe mu'fuckin'. » Pour un artiste qui a reçu son content de haine de la part des utilisateurs de droite de Twitter, la chanson résume son rôle non seulement dans la culture Internet, mais aussi dans le hip-hop - le gars n'a pas peur d'appeler un troll, une merde. Free the Frail, soutenu par des synthés brillants, avance un piano moelleux et un changement d’accord aussi cool.

BasicBitchTearGas
montre son affinité à réinterpréter la musique et sur Millennium Freestyle, Peggy sublime avec son chant harmonique le smash de TLC, No Scrubs. une performance qui ferait la fierté de Chilli, T-Boz et Left Eye. Au final, on se trouve devant un album pas facile d’accès et qui demande plusieurs écoutes pour assimiler toute la production mise en place pour rendre le propos.

D’après lui, le point d’entrée dans sa musique n’a aucune importance : "Comme tu veux. C'est ça qui est important dans ce que je fais. Ce n’est pas censé être 'quelque chose', c’est juste là. Tu peux en faire ce que tu veux." Le voyage donne de suite envie de connaître ce qui précède. Plus wild, c’est sûr, mais carrément novateur quand même. Affaire à suivre. De près !

Jean-Pierre Simard le 01/010/19

JPEGMAFIA - All My Heroes are Cornballs - EQT Recordings