Relax, on va tous mourir avec Marlon Wobst
Sur la planète Terre, la fête continue, les eaux montent et les températures aussi. Au sein des organisations internationales on parle et « pour-parle » tandis que les démocraties sont en glissade, les guerres de religion se répandent et les thalassos se remplissent… Et, avec RELAX (Détendez-vous/ Détends-toi), la réalité du grand monde constitue la musique de fond quand le focus de l’artiste est orienté vers le microcosme de l’individu.
L’artiste dépeint un monde hédoniste et lascif. Il nous montre une proximité intime, celle de notre corps en échange avec l’autre et dans son rapport avec l’environnement, les éléments. Les corps cherchent le contact, le tactile ; ils explorent en groupe ou seuls ; ils bougent, sirotent, observent, se regardent… existent. La notion d’existence prend ici une dimension supplémentaire car sa signification est aussi matérielle. Chez Marlon Wobst, les figures émergent entièrement ou partiellement de la substance de la peinture ou du feutre de laine (lorsqu’il s’agit des tapisseries). Ailleurs, elles semblent s’y fondre, pour redevenir simple matière dans une surface abstraite. Souvent, un détail anecdotique — tel que le bracelet de plastique porté à la piscine — attire notre regard. Ce type d’éléments, comme certaines postures particulièrement drôles voire disgracieuses, introduit un grain d’hyperréalisme quand formellement le registre est tout autre. En fin voyeur et manipulateur de matière, Marlon Wobst nous livre une vision poignante de l’être contemporain où récit et proposition plastique sont étroitement liés tout en offrant des lectures de nature très différentes..
Voici Bayer. Il est chirurgien et il aime éperdument les femmes. En salle d’opération, son âme vague d’une chair à une autre alors qu’il œuvre sur une anatomie géante. Bella, quant à elle, cultive son corps : au club de gym, elle passe de la machine au tapis face au soleil levant qui se reflète dans le miroir… Suivra peut-être la plage et les copines tel que dépeint dans In Treue Fest (Tenir ensemble) où des femmes en bikini et un homme discrètement vert (!) scellent on ne sait quel pacte en posant leurs mains droites sur une nana gigantesque à poil. Dark room (Chambre noire) présente un espace dans l’obscurité où les corps nus se détachent du fond par leur luminosité. Est-ce une image photographique en cours de développement ou une scène d’orgie ? Les ébats se poursuivent dans l’eau — immersion, sauts (Springer), poses, crawl (Brust Rücken Kraul) — avant l’immobilisation (Diskussion), l’osmose avec le soleil et le sable chaud (Teint). Dans la tapisserie Die Flucht (L’échappée) c’est la course : quatre femmes nues traversent la surface picturale en diagonale, poursuivies par un homme couleur fuchsia… Peut-être un coup de soleil ! Ritt (Chevauchée) est fascinante par la puissance des corps qui avancent et le mouvement contraire du cheval qui tourne légèrement la tête vers le spectateur, rompant ainsi l’élan total.
Eminent coloriste qui passe aisément d’un registre mélancolique et sourd à un autre fait d’humour et de plaisirs, des pastels les plus délicats aux couleurs les plus franches et psychédéliques, Marlon Wobst poursuit son exploration des divers médias. La peinture à l’huile reste un permanent ; il l’aime mate, plus au moins épaisse. La céramique lui a permis de transposer son univers en trois dimensions avec une grande originalité dans la manière d’articuler et de composer des ensembles d’envergure, comme l’avait montré sa précédente exposition parisienne L’OASI (2017). Un travail sur papier est né : l’ensemble présenté dans le cadre de DDESSIN 2019 (Paris) en était un exemple. Puis, récemment, il a développé un travail de tapisseries en feutre de laine. Ces fibres colorées — qui s’étirent, se superposent et se travaillent à plat comme en volume — offrent à Marlon Wobst un terrain d’expérimentation formidable. Elles confèrent aux œuvres une dimension brute évoquant peaux de bêtes et fresques préhistoriques. Les tapisseries ont aussi une touche enfantine quand les figures tridimensionnelles prennent l’allure de poupées faites maison. Mais à y regarder de près, c’est la virtuosité de l’artiste qui frappe : les lasures et les transparences de sa peinture trouvent ici une nouvelle forme et le modelé de sa sculpture céramique une souplesse autre.
Marlon Wobst affirme avec RELAX sa capacité à œuvrer en maître de marionnettes redoutablement efficace et sophistiqué. Il mène son jeu d’avènement et de disparition, de naissance et de transformation sur une scène de matière quasi abstraite où tableaux et scénettes passent en revue l’humanité contemporaine. Si légèreté, humour et tendresse sont indubitablement au rendez-vous, il ne faut pas s’y tromper. Le marionnettiste a de la poigne.
Maxime Guéricault le 17/09/19
Marlon Wobst - Relax -> 9/11/19
Galerie Marion Lund 48, rue de Turenne 75003 Paris