Philos ou le néo-folk traditionnel et contemporain de la coréenne Park Jiha
Faire de la nouvelle musique avec des instruments traditionnels est une question qui agite la musique depuis des siècles. Bartok, Ravel, Debussy ou Moondog ont ainsi choisi des thèmes et des modes d’ailleurs ou d’antan pour composer leur actualité musicale. Il en va de même avec les compositeurs contemporains extra-européens, comme la Coréenne Park Jiha qui innove à partir de son giri, une flûte double en bambou. Philos nous a intrigué, on a réécouté de près.
A Moondog qui écrivait façon Bach un hommage à Charlie Parker, ou Bartok qui s’inspirait du folklore hongrois, Park Jiha répond avec son propre folklore coréen contemporain qu’elle tisse entre minimalisme, ambient et musique de chambre. Ici, il faut faire l’effort - mais il n’a qu’un temps - de se laisser envahir par des sons inhabituels et qui se donnent aussi d’une manière/matière différente, se familiariser avec le chant nasillard du piri, une flûte en bambou à double anche qui se rapproche du hautbois. La jeune Coréenne manie aussi le saenghwang, un orgue miniature actionné en aspirant et expirant, ainsi que le yanggeum, une cithare dont les cordes en métal sont frappées par des baguettes de bambou. Cette instrumentation pluriséculaire, qui tinte étrangement à nos oreilles occidentales, brode un canevas de paysages au bord desquels il faut s’abandonner.
Sur Philos, elle joue elle-même de tous les instruments, à l’inverse de son précédent et premier album de l’an passé, Communion qui nous avait fait tendre l’oreille avec le dialogue entre un saxophone et un vibraphone qui répondaient à ses propres instruments évoqués plus haut.
Ici, il est question de son amour du temps, de l’espace et des sons : à définir le temps à raison de trois ou quatre motifs, qui s’enroulent et se déroulent pour déboucher sur une transe méditative. Du côté spatial : jouer d’une trame si étirée qu’elle laisse passer le jour, pour illuminer la mélancolie des mélodies. Quant aux sons : les textures des instruments jouent de leur propre histoire pour provoquer et installer une véritable douceur. Le seul apport extérieur - et qui se dégage singulièrement par sa beauté solitaire, des autres titres de l’album - étant un poème écrit et récité par la Libanaise Dima El Sayed.
Philos part à la dérive des sentiments et sensations de la Coréenne qui en profite pour développer son monde extérieur en résonance avec son environnement. En le laissant jouer avec son instrumentation dans un entre-deux qui, partant de Séoul en 2019, débouche sur le monde entier ; l’enveloppant d’une brume instrumentale ancienne pour laisser percer le soleil minimaliste actuel d’un folklore planétaire, elle lui offre une vraie cure de jouvence. De ses émotions glanées sous la pluie qui tombe (Thunder Shower) ou en flânant en ville (Walker: In Seoul), jusqu’au morceau-titre qui aurait pu avoir été écrit par le John Surman de la période ECM, ou un Ryuichi Sakamoto évoquant le Japon au piano solo.
Un pas de plus pour cette artiste. Et un grand pour Park Jiha qui avance en taillant sa route faussement balisée de sonorités électroniques, en fait jouées acoustiques. Ce n’est pas son moindre mérite que de réussir à composer/jouer local en pensant global… De plus, on note que c’est assez récurent en Asie où nombre compositeurs, ne serait-ce que pour pas dépendre de la culture anglo-saxonne ou européenne classique suivent cette piste, du Joe Hisaishi des BO de Hayao Miyazaki ou des dernières œuvres de Tōru Takemitsu. Une vraie identité se fait jour qui n’offre d’autre alternative que se laisser emporter pour en apprécier, au fil des écoutes ( un pari!), la vraie singularité - avec un enchantement certain. Alors, électro-folk dénaturé trad ? Contemporain lascif et ouvrant sur les musique électroniques par d’autres moyens ? On ne choisira pas, on prendra tout, le package se suffisant à lui-même - et la musique aussi… Superbe !
Jean-Pierre Simard le 19/06/19
Park Jiha - Philos - Glitterbeat