Le monde selon Trump avec la Pax Americana d'André Bratten
Dans la lignée de ses illustres compatriotes Todd Terje, Prins Thomas ou Lindstrøm, Andre Bratten représente la nouvelle scène électro norvégienne. Il ramène le son pur et brut des synthés pop des eighties pour le lier à l'air du temps. Un peu comme si, en partant de Depeche Mode ou New Order on arrivait à Marcel Dettmann. Tek, tek, tek quand tu nous tiens …
Son nouvel opus Pax Americana est à l’image du but qu’il poursuit. Le producteur DJ André Bratten s’est imposé en seulement cinq ans comme une figure incontournable de l’électronique moderne. Basé à Oslo, à 31 ans, il a esquissé une vision enchantée du monde - une sorte de dystopie psychédélique - dans le but de nourrir son obsession du son. Bratten s'est rapidement fait connaître avec un style techno qui semblait s’enraciner dans les compositions d’avant-garde de Giacinto Scelsi ou les pastorales romantiques de Boards of Canada. À l’époque, ses DJ sets sur le circuit des clubs européens renforçaient sa réputation d’artiste sérieux aux côtés sombres et cavaliers. Bratten, qui a fait ses armes en tant que technicien du son pour le Oslo Box Theatre est aujourd'hui impliqué dans des projets allant de la composition classique moderne aux bandes sonores de films.
Une techno alternative qui reluque Detroit (avec clin d’oeil à Carl Craig), mais s’affirme européenne dans sa conception, tout en laissant place au voyage spirituel avec un côté dark en plus. L’homme a changé, il est passé des pastorales à une tek qui manifeste plus ouvertement sa réflexion politique, en ajoutant ici la menace des suite de l’élection de Trump (le titre a été composé au lendemain de son élection). Même si, ici, Oslo s’avère moins hardcore que Berlin. Un peu spécialiste des rapprochements culturels, son précédent album Gode, à double sens en Norvégien: le mot veut dire "provoquer" mais définit aussi les privilèges des riches sur les paysans dans le Norvège du passé. Évidemment, cet album se voulait une réflexion sur le passé de la Norvège et le fait que seuls les riches pouvaient s'en sortir à l'époque (1900-1939). C'est en quelque sorte un hommage à la Norvège rurale qui à l'époque ne pouvait pas s'exprimer, ni politiquement ni encore moins via l’art.
Histoire de se mettre au vert, il a déménagé du centre d’Oslo en banlieue, passant le plus clair de son temps à s’y installer et reconstruire son studio. Les premiers titres à émerger de son nouveau lieu ont depuis été publiés sur son actuel label Smalltown Supersound en une série de maxi qui montraient comment Bratten tâtonnait à la recherche d’un nouveau son, s’éloignant de ses modèles précédents (Boards of Canada, Autechre, et le défunt producteur de Drexciya, James Stinson.)
Trois de ces maxi réapparaissent sur l’album, dont le morceau-titre, dans une veine assez inquiète – on le comprend, au vu des tweets du canari malfaisant –, tous composés selon des règles précises avec un vieux sampler, une TB 808, de la bande magnétique et une table de mixage ayant (même) appartenu autrefois à ABBA ! La musique y file toujours aussi vite, côté pulsion, mais dans le paysage rêveur précédent s’est glissée la menace d’un ordre assez malfaisant, la fameuse “Pax Americana” qui vend ses services au plus offrant, sou prétexte de démocratie, pour mieux piller, partout ailleurs, les ressources des pays soi-disant aidés… de l’Afghanistan à la Syrie, vous avez le choix. Mais à l’inverse de ce qui est dénoncé, on peut ici quand même danser en attendant la fin du monde…
Jean-Pierre Simard
André Bratten – Pax Americana - Smalltown Supersound