Ekiti Sound, entre Londres et Lagos, réinvente l'afro-beat à la mesure de l'électro

S’inscrire dans la culture musicale, c’est souvent retrouver par d’autres voies, une façon de faire déjà découverte, mais en y apportant un ton et des sonorités du moment pour lier le tout. Ici, le modèle d’origine a plus de 40 ans, c’est le Noir et Blanc de Zazou/Bikaye et l’avatar du jour c’est le Abeg No Vex d’Ekiti Sound. Du modèle à l’avatar, c’est troublant, mais c’est aussi carrément bien.

CHIF aka Ekiti Sound balance son nouveau mix sonore en forme de dialogue Londres/Lagos en y intégrant aussi bien la culture des sound systems, que celle du hiphop et de l’afrobeat pour un nouveau global mix à sa mesure. Et cela sonne total OSNI (objet sonore non identifié) comme en 1983, l’album du début de la collaboration entre le Français Hector Zazou et le Congolais Boni Bikaye : un album repéré par le New Musical Express comme significatif de l’année, sorte de croisement entre Fela et Kraftwerk ou DAF. C’est tellement flagrant qu’on vous en met un titre … mais en même temps, et heureusement, ça va bien au-delà.

Un fois qu’on a trouvé la source du Nil blanc, on regarde le cours …  et c’est clair que tous les éléments évoqués plus haut, à commencer par la culture sound system et le hip hop sont bien présents par l’emploi des voix en talk over et de certaines rythmiques, mais on sent aussi l’Afrique et Lagos en particulier avec des évocations aussi bien de Fela que de King Sunny Adé sur le superbe Song for Lara.

En résulte un objet sonore électronique sans frontière qui s’appuie sur les constantes du funk et de la pop nigériane pour défricher de nouveaux terrains, en regardant autant du côté de la Nouvelle-Orléans, que du dancehall digital (Ife), du big beat, de la drum’n’bass et du hip hop voire des rituels dance africains, pour un mix qui sonne des fois comme Neneh Cherry sur Timeless - c’est dire la largeur du son envisagé.

Nul doute que Miss Dynamite sera un succès club cet l’été avec son refrain “motherfucker, we don’t care” réglé pour de nouvelles nuits hédonistes ; mais aussi pour sa construction en accords de piano house et samples de guitare qui tournent autour d’un beat quasi kwaito. On notera aussi la suite Maybe There’s A Rainbow qui démarre avec un chant tranquille pour aller se transformer en un collage psyché sur Super String Theory.  

Un peu labyrinthique à la première écoute, tous les éléments se mettent bientôt en place pour en montrer la cohésion et la finesse du propos. Au-delà de l’actualisation du son électronique africain et du mélange des genres tellement réussi qu’on ne voit plus les collages sonores, un truc absolument chatoyant. Vraiment fort et donc absolument recommandé.

Jean-Pierre Simard le 2/05/19

Ekiti Sound - Abeg No Vex - Crammed Discs