Faîtes-vous respecter ! le revigorant petit guide anti-manipulation de Mathilde Levesque

Un précieux guide pour décoder les rhétoriques de l’oppression et de la manipulation, au quotidien comme en politique.

Pas un jour sans qu’un employé se taise devant les improbables injonctions de son patron. Sans qu’une femme perde, sous le coup d’humiliations ponctuelles ou répétées, sa confiance en elle. Sans qu’un timide abandonne, baisse les bras, face à une société où les dominants tiennent à leur place.

Ce livre s’adresse à eux, et plus généralement à tous ceux qui croient qu’on ne peut rien y faire. Que c’est comme ça.

Il est en réalité toujours possible d’agir : c’est en sachant décrypter les stratégies de l’autre que vous pourrez sereinement vous positionner et vous protéger.

Se faire respecter ne doit pas être un idéal inaccessible, ni rester l’apanage des puissants ou des violents. C’est, aussi, un art qui s’apprend, notamment à travers le discours.

Si les mots des autres vous paralysent, vous apprendrez à les dompter.

Si vous avez aussi peur de vous-même que du monde, vous déciderez de vous connaître pour mieux être inaccessible aux autres.

Si vous avez la riposte violente et colérique, vous accepterez de respecter l’autre pour devenir à votre tour respectable.

Si vous savez lorsqu’on manipule mais que vous n’arrivez jamais vraiment à savoir comment, vous pourrez désormais nommer et identifier la moindre stratégie de votre interlocuteur.

Si vous avez l’impression que vos adversaires vous écrasent, vous vous amuserez à en faire des partenaires et vous appuierez sur eux pour avoir le dernier mot.

Si, justement, vous aimez avoir le dernier mot à tout prix, vous accepterez parfois de choisir le silence.

Enfin, si vous craignez les paradoxes, vous vous ferez un plaisir de vous montrer à la fois cohérent dans les valeurs que vous défendez, et imprévisible dans la manière de le faire. Vous deviendrez, au sens propre comme au sens figuré, insaisissable.

Se protéger face aux multiples manipulations et agressions est, hélas, une nécessité. Mais se préserver n’est rien si on le fait sans dignité. Garder la tête haute, c’est d’abord ne pas avoir à baisser les yeux. Ni face à l’autre, ni face à soi-même.

Dès l’avant-propos, Mathilde Levesque explicite avec verve et ruse en quoi ce « La tête haute », qui paraît en mars 2019 chez Payot, significativement sous-titré « Guide d’autodéfense intellectuelle », poursuit et amplifie le travail de l’humour et de l’intelligence contre les préjugés et les mépris de classe qui irriguait déjà, à plus d’un titre, son « LOL est aussi un palindrome »de 2015 et son « Figures stylées » de 2017. Après avoir démontré, en un fort habile montage de travaux menés avec celles et ceux qu’elle appelle affectueusement ses « mioches » – lycéens et élèves de BTS du lycée Voillaume d’Aulnay-sous-Bois, où elle enseigne les lettres, et que l’on peut notamment découvrir dans le superbe documentaire « Je dis donc je suis » – et d’inspirations personnelles, que la culture dite savante n’est pas en réalité l’apanage des beaux quartiers, et que son entrechoc avec diverses formes de culture populaire produit du réel, de l’utile et de la beauté, elle pousse l’offensive un cran plus loin, et quittant doucement la salle de classe et la cour du lycée, elle fourbit les armes d’une véritable autonomie de pensée, à portée de qui le souhaite – et non pas uniquement de qui disposerait du milieu socio-professionnel réputé ad hoc. La rhétorique est bien ici un sport de combat, et c’est en en parcourant régulièrement les katas que prend forme une auto-défense qui, rapidement, n’a plus rien de virtuel.

La première fois que j’ai entendu parler d’autodéfense intellectuelle, je n’ai moi-même pas compris l’expression.

C’était pourtant une évidence dans mon travail de tous les jours. Enseignante dans un établissement dit « difficile », dans un lycée dit « de banlieue », j’avais remarqué depuis bien longtemps – et je n’étais évidemment pas la première – que mes élèves étaient très souvent sur la défensive. J’ai longtemps cherché à comprendre pourquoi, jusqu’à ce qu’on me suggère de travailler sur les formes que pourrait prendre l’autodéfense intellectuelle dans notre société. Telle que je l’approchais intuitivement, cette notion représentait la possibilité d’offrir aux plus faibles les moyens de ne pas se faire écraser, dans une interaction hiérarchique par exemple.
Mes recherches l’ont conduite tout d’abord à une célèbre pensée du linguiste Noam Chomsky : « Un vrai système d’éducation donnerait des cours d’autodéfense intellectuelle. » Je me suis alors dit que l’autodéfense intellectuelle devait désigner quelque chose comme la « nécessité de se construire un esprit critique ». C’est ce sens-là que je retrouvai dans les deux principaux ouvrages consacrés à cette notion : les Petits cours d’autodéfense intellectuelle de Normand Baillargeon et le Manuel d’autodéfense intellectuelle de Sophie Mazet.

L’ensemble de ces travaux constitue une aide précieuse pour notre défi quotidien en tant qu’enseignants : apprendre à nos élèves la distance critique face à l’information – et c’est d’ailleurs l’objectif que s’est fixé Sophie Mazet avec ses propres élèves, dans le cours qu’elle a monté en Seine-Saint-Denis.

En dépit de l’apport scientifique indéniable de ces études, je me trouvais face à un manque : il me semblait que l’autodéfense intellectuelle, telle qu’elle était entendue par ces trois auteurs, ne prenait pas en compte la violence ordinaire des échanges humains de laquelle il faut, aussi, savoir se protéger. C’est donc dans cette perspective que se place essentiellement ce livre.

Si elle continue à nourrir son expérimentation pratique d’échanges ordinaires et de littérature, c’est en puisant dans l’épais vivier de la rhétorique politique contemporaine, des tenants du pouvoir jusqu’aux moins affûtés complotistes, que Mathilde Levesque opère la montée en puissance de sa « Tête haute ». De Gaulle, Giscard ou Mitterrand sont ainsi rapidement rejoints par Nicolas Sarkozy, Jean-Pierre Raffarin, Emmanuel Macron, Donald Trump ou encore Marine Le Pen, dans le décodage intense des figures de style préférées de la manipulation et de la prestidigitation intellectuelle (ou prétendant l’être, bien entendu). Renforcé d’analyses utilisant SchopenhauerKlemperer ou Orwell, parsemé de « tests » auto-corrigés aussi sérieux qu’hilarants, le « Guide d’autodéfense intellectuelle » atteint son efficacité maximale, et propose bien, sous couvert d’humour et de sens pratique, une véritable machine de décodage des discours et des pratiques de domination. Et c’est ainsi que cet ouvrage devient un cadeau précieux pour tout un chacun et toute une chacune, et pas uniquement là où l’oppression est en apparence maximale.

Il m’est arrivé, alors que je célébrais l’à-propos de mes élèves, de me faire taxer de « démago » incapable de percevoir l' »insolence » de ces ados révoltés ; je peine toujours à voir dans ces reparties un « manque de respect, oubli ou mépris des égards, ressenti comme une impertinence, une insulte ou une injure », selon la définition consacrée de l’insolence. Il me semble au contraire que ces élèves, qui pourraient en effet choisir facilement l’option de la subversion, choisissent celle du ralliement dans le savoir partagé.

La prise de risque, lorsqu’elle reste respectueuse de l’interlocuteur, est donc à la fois une manière de ne pas subir et de reprendre la main sans recourir à l’agressivité : le must de la classe.

La librairie Charybde aura la joie de participer à la fête de lancement de l’ouvrage, qui aura lieu à la belle brasserie Royal Est Music (129 rue du Faubourg Saint-Martin 75010 Paris) le vendredi 15 mars 2019 à partir de 19 h 00. N’hésitez pas à venir y faire dédicacer votre exemplaire et à nous faire un coucou au passage !

Mathilde Levesque - La tête haute - éditions Payot 
Charybde 2 le 11/03/19

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