Où sont les chiens de Sarajevo ? par Tieri Briet
Où sont les chiens de Sarajevo ?
C'est vrai, il faut expliquer. Raconter et encore raconter, expliquer mieux. Sarajevo n'est pas une ville comme les autres. Dans les parcs, au milieu des allées, il y a deux choses qui marquent celui qui vient d'une autre ville. D'abord il y a les bustes en bronze des poètes. Des dizaines de poètes dans les parcs et ça donne envie de les lire. Les poètes de Sarajevo comme Izet Sarajlic mais aussi ceux des autres villes de Bosnie, quelle que soit leur appartenance, et ça veut dire beaucoup dans un pays qui n'arrive pas à faire la paix, vingt cinq ans après les bombardements de l'armée serbe. Mais dans les parcs de Sarajevo, il y a aussi des tombes. On s'assoit sur un banc à midi, pour manger un sandwich ou pour écrire deux phrases à l'intérieur d'un cahier en lambeaux, et en observant l'ombre sous les grands arbres on prend conscience que l'ancien parc est devenu un cimetière. Que ces pierres blanches disséminées le long des grandes allées sont des pierres tombales avec des noms, des dates qui nous ramènent à la guerre. La dernière guerre européenne, avant celle qui sévit aujourd'hui en Ukraine. Et pendant des années, ces tombes étaient visitées par des chiens qui y faisaient la sieste. Des chiens imposants, souvent, solitaires aussi et jamais agressifs. J'ai beaucoup aimé ces chiens et parfois, en dormant la nuit à l'ombre de ces parcs, leur compagnie m'a rassuré. Les dernières fois que je suis revenu à Sarajevo, les chiens des tombes avaient disparu. Je les ai cherchés dans les collines qui entourent la veille ville, et j'ai posé souvent la même question aux habitants.
Où sont les chiens de Sarajevo ? Je n'ai jamais obtenu de vraie réponse, personne ne savait où ils étaient passés. Si bien qu'en retombant sur cette photo ancienne, je me suis à nouveau posé la question. Ces chiens me manquent quand je retourne en Bosnie, parce qu'ils m'évoquent aussi les chiens des films de Tarkovski. Compagnons de voyage, chiens abandonnés qui ont marché avec moi des jours entiers sur les routes de Bosnie, qui ont partagé mes repas dans les villages où je trouvais une grange ou une cabane pour reprendre des forces. Ces chiens me manquent et en répondant à vos questions, Sophie et Lu, je me rends compte que j'ai de plus en plus envie d'écrire ces histoires de chiens sans maîtres et sans colliers qui m'ont si souvent emboîté le pas, en m'offrant leur compagnie rassurante dans un pays où les populations ont tellement de mal, aujourd'hui encore, à faire la paix et à trouver comment cohabiter ensemble.
Tieri Briet
Né en 1964 dans une cité de Savigny-sur-Orge où il a grandi à l'ombre d'une piscine municipale, Tieri Briet vit aujourd'hui au fond de la Camargue, avec une famille rom de Roumanie dont il partage la vie et le travail. Il a longtemps été peintre avant d'exercer divers métiers d'intermittent dans le cinéma et de fonder une petite maison d'édition de livres pour enfants. Devenu voyageur-ferrailleur pour pouvoir écrire à plein temps, il est aussi l'auteur d'un récit sur les sans-papiers à travers les frontières, « Primitifs en position d'entraver », aux éditions de l'Amourier, de livres pour enfants et d'un roman où il raconte la vie de Musine Kokalari, une écrivaine incarcérée à vie dans l'Albanie communiste, aux éditions du Rouergue. Il écrit pour la Revue des ressources, Ballast et L'Autre Quotidien en continuant d'explorer la Bosnie, le Kosovo et l'Albanie pour rédiger son prochain livre, « En cherchant refuge nous n'avons traversé que l'exil ».
Blog perso : Un cahier rouge