Nervous Horizon bouscule le son club londonien avec ses emprunts internationaux

Si vous ne passez pas votre temps en club à shazamer ce qui passe dans les enceintes, vous avez peu de chances de connaître le label Nervous Horizon. Ils assurent pourtant, depuis cinq ans, une présence indéfectible sur les pistes, se voyant même intégrés à des sets d’Aphex Twin, comme ici le Whirl de TVSI.  

Les deux initiateurs du lalble, TSVI et Wallwork n'ont jamais eu de paramètres stricts pour le son Nervous Horizon. Au lieu de cela, ils ont suivi les courants changeants de la musique club, passant de pistes de batterie vives et éclatantes - souvent imprégnées de crasse, de kicks imparables et de funky britannique - à un son qui est de plus en plus singulier. La troisième compilation Nervous Horizon invite même des producteurs comme DJ Plead de Melbourne, dont le tonitruant Pleats Plead EP a été l'un des disques les plus mémorables de 2019. Les pistes de batterie complexes de Plead s'inspirent de son héritage libanais et du genre de musique à claquement de doigts qu'il rencontre habituellement lors des mariages familiaux. Ici, il met ses tambours à main au travail sur deux pistes. En plus de l'"Ambush" qui couve, il y a une étrange collaboration avec TSVI appelée "Force Field", qui ressemble à une rupture d’avec les précédentes sorties de Nervous Horizon. Un 6/8 à grooove lent et trébuchant fait basculer le gémissement perçant d'un mizmar moyen-oriental dans une sorte de gargouillement acide du Quart Monde.

Les premiers membres du label étaient NKC, qui a développé le son "hard drum" à partir des vestiges du funk britannique, du funk lourd sur des tubes à la batterie qui tapent la tête et mettent de la lumière sur la mélodie et l'agitation. Aujourd'hui, le producteur italo-ivoirien Ehua retravaille cette sensibilité à leur image : le stomp tarraxinha de son titre "Meteora" est repris sur le "Detonate" de Wallwork, un titre qui explore également des mélodies modales arabes. Le "Labyrinth" de TSVI prend un rythme tresillo similaire et y greffe un nid de guêpes en colère, qui capture certainement l'ambiance dominante : sombre, tordu, euphorique, vaguement nihiliste. Parmi les autres invités d'outre-mer, citons le Tzusing de Taipei et de Shanghai, qui ajoute une note de technique de donjon teutonique à "24hr", et l'Italien Chevel, qui, avec Wallwork, oriente le "Carbon 12" dans une direction industrielle tordue. La boucle est bouclée par le producteur londonien d'origine Pékinoise Blue, dont "Neo Noir" est le moment le plus marquant de la compilation.

Ce qui est remarquable ici, c'est l'infiltration totale du gqom sud-africain dans l'univers soundboy britannique. La majorité de ces pistes sont basées sur des tambours syncopés de type gqom, avec un creux et tactile en guise de contrepoint. C'est un son, souvent malencontreusement qualifié de "tribal", qui n'est ni électronique, ni indexé sur le rock ou le jazz. L'influence de Gqom est également audible dans les notes de basse longues et bourdonnantes qui sous-tendent les percussions. L'ambiance est dure, presque apocalyptique. En plus de faire écho à l'ambiance la plus sombre de Durban, l'atmosphère aigre est en ligne avec la production récente de producteurs de clubs mondialement dispersés comme AYA, Ziúr, Tayhana ou Santa Muerte. Nervous Horizon Vol. 3 n'est donc pas, comme la compilation typique d'un label, une sorte de best of de titres, mais un disque à part entière, qui met en lumière certaines grandes tendances d’un son en vogue, tout en élargissant la palette du label. Recommandé.

Jean-Pierre Simard le 18/12/19

V.A. Nervous Horizon Vol. 3 - Nervous Horizon Records,