Issam Hajali et le folk-jazz libanais des 70's retrouvé par Habibi Funk

En exil à Paris, Issam Hajali avait composé des chansons folk mélancoliques sous-tendues d’influences jazz orientales qui évoquent cette fin des années 70 au futur incertain et d’où émane distinctement une beauté pure et intacte. Comme un air d’aujourd’hui décalé sur fond de guerre au Liban. C’est “Mouasalat Ila Jacad El Ard”.

Une photo toute pourrie d’Issam Hajali

Pour Jannis Stuertz, fondateur d'Habibi Funk :“Issam Hajali est surtout connu pour avoir été le chanteur et le compositeur principal du groupe libanais Ferkat Al Ard. Bien qu’ils aient enregistré trois albums, seul leur classique Oghneya a connu une sortie en vinyle et est aujourd’hui très certainement le disque le plus recherché par les collectionneurs de musique libanaise (cette année, une copie s’est vendu 5000 $ à Beyrouth). Avant que le groupe ne se forme, Issam avait enregistré en 1977 un premier album sous son nom, intitulé Mouasalat Ila Jacad El Ard, alors qu’il était en exil à Paris. “

L’album d’Issam Hajali, Mouasalat Ila Jacad El Ard, a été enregistré en 1977, sans doute entre les mois de mai et juin. Issam avait dû quitter le Liban pour raisons politiques après l’intervention syrienne et s’était réfugié en France, où il resta en exil pendant un an. À cette période, il a du mal à joindre les deux bouts et joue de la guitare dans le métro. Il ne peut se payer qu’un seul jour en studio pour enregistrer l’album avec un groupe réunissant des musiciens français, un Algérien, un Iranien et un ami de Beyrouth du nom de Roger Fahr. 

On retrouve sur l'album des chansons folk à la guitare, dépouillées, mélancoliques, infusées de séquences jazz et improvisées ici et là parcourent le disque et lui donnent cet aspect unique, augmentées du son si brillant du santour (ndr: un cithares sur table d’origine iranienne). Bien que la musique se révèle très accessible, certaines structures de morceaux sont plutôt atypiques, dépassant la forme classique couplet - refrain - couplet - refrain. La plupart des paroles sont des adaptations de l’oeuvre poétique de l’auteur palestinien Samih El Kasem, à l’exception d’un titre écrit par Issam Hajali, qui a signé toutes les compositions.

Fin 1977, ce dernier peut enfin retourner à Beyrouth, l’album nouvellement enregistré sous le bras. Sa situation économique reste compliquée et il ne parvient pas à trouver un label encore actif en ces temps de guerre. Issam commence donc à copier lui-même l’album sur cassette. La plupart des exemplaires sera vendue ou donnée à des amis ; un magasin de disque en prendra bien quelques-uns en dépôt-vente, mais sans beaucoup de conviction. Par hasard, l’une de ses cassettes se retrouve entre les mains de Ziad Rahbani, le fils de la chanteuse libanaise iconique Fairuz, une institution musicale à elle seule. Ziad adore la musique d’Issam Hajali et se retrouve à jouer régulièrement avec Ferkat Al Ard, son groupe, par la suite ; Issam a également contribué à quelques enregistrements de Ziad.  

Malgré cela, l’album d’Issam Hajali ne dépassera jamais les limites d’une petite scène locale de connaisseurs et de musiciens dans le Beyrouth de la fin des années 70. Issam est certain qu’une petite centaine de cassettes uniquement ont été fabriquées et ont circulé à cette époque, il n’a réussi à en récupérer qu’un seul exemplaire au final, celui qui a servi à réaliser ce disque.

L’aventure est assez connue qui, de Terry Callier à Sixto Rodriguez, a vu des géants un moment sombrer pour non adéquation au bizness discographique. Mais là, le cas est tout autre - qui veut produire des disques en période de guerre, surtout au Liban, en voie de dépeçage à l’époque, à la fin des 70’s? Est-ce le son des guitares qui fait penser aux deux sus cités? Certainement, car au même moment, en Europe, on s’envisage plus punk électrique qu’arrangé jazz barré. Mais le croisement ici présent de racines folk libanaises sur fond de poèmes palestiniens en relève encore le propos, lui donnant un son inédit qui en fait tout le sel. Il ne reste plus à espérer qu’Issam reprenne sa guitare et recommence à composer. On le lui souhaite, car c’est un album magistral. Et au v de son histoire, une renaissance.

Jean-Pierre Simard le 22/11/19

Issam Hajali, Mouasalat Ila Jacad El Ard, Habibi Funk