Robbie Robertson s'envisage “Sinématic” sur son premier album depuis 8 ans

Entre le Band et Martin Scorsese il y a un filigrane qui court depuis les années 70 et “The Last Waltz”. A fortiori entre Robertson et Scorsese, le principal compositeur du défunt groupe qui accompagna le Dylan électrifié et qui réinventa le folklore imaginaire pour toutes les musiques en plein psychédélisme. Et là, partant d’un titre de la BO du dernier Scorsese , “The Irishman”, l’histoire de Frank Sheeran qui sert de base au film, Robertson a construit son nouvel album “Sinematic”. A plus d’un titre.

David Jordan

Après le duo d’ouverture avec Van Morrisson I Hear You Paint Houses, tout au long de l’album, Robertson s’appuie sur les climats, propageant une ambiance strictement cinématique qu’il bâtit avec des bandes de synthétiseurs, des voix mi-parlées, mi-chantées, des rythmiques puissantes et des morceaux de bravoure savoureux. C’est un bonheur de le retrouver, mais cela n’offre pas grande nouveauté… 

La perfection en studio a toujours été la patte du travail solo de Robertson, mais Sinematic s’est largement débarrassé de la noirceur politique et sociale de ses précédents albums, du moins sur le plan sonore. Ses chansons sont parsemées de courants sous-marins troublants de la pop culture - il a même choisi d’écrire une chanson sur l’ancienne série pulp The Shadow - mais Sinematic ne dérange jamais vraiment : à toujours offrir une musique d’ambiance séductrice Ici, Robertson savoure les gangsters du film B dans Shanghai Blues et hurle "câblé pour du sexe" comme s’il était un serpent étendu dans l'herbe.

Le funk et le blues étincelant sont bien au rendez-vous, interprétés avec panache par de vieux pros qui apportent des touches de grâce au moindre changement d'accord, et cela peut presque suffire à compenser le fait que Robertson chante comme s'il était un acteur essayant des rôles, en changeant de registre à chaque fois.

On le croirait bloqué dans une manière de faire typique des années 80 ( quand il sortait tuerie sur tuerie… ) mais on dirait qu’il a perdu sa spécificité, se tournant alors une dernière fois vers le souvenir de ses vieux potes ( tous plus ou moins décédés du Band) pour y retrouver l’énergie nécessaire à ses créations. Mais las, cela ne fonctionne qu’à moitié - il reste un compositeur intéressant avec des textes ciselés, une vraie présence à la voix et à la guitare, mais c'est aussi la limite de son charme : Robertson ne se rend pas compte qu'il est coincé dans ses manières, faisant de la musique à l'ancienne. Loin d’être désagréable, le héros est fatigué et on garde deux, trois titres en mémoire (I Hear You Paint Houses, Shangaï Blues et Wandering Souls.)

Mais à jouer la BO, cela ne sert que les climats des films évoqués. Et ce n’est pas assez pour en faire un bon album. De la part d’un musicien qui a révolutionné durablement le son du rock en 68 avec Music From Big Pink, en mixant country, rock, folk, classique, R&B, et soul, c’est trop peu … trop tard. Le son a définitivement changé et à l’écoute on a l’impression de voir défiler le siècle dernier. Le sien, plus le nôtre… 

Jean-Pierre Simard le 8/10/19

Robbie Robertson - Sinematic - Universal Music