Volgograd ou la lente spirale russe

A la veille de la Coupe du monde de football qui débutera le 14 juin, Maxence Peniguet tente de percer les mystères de l'âme russe. Volgograd, sixième étape du voyage dans les villes hôtes de la Coupe du monde de football 2018, peine à remplir son devoir international de mémoire. Et ne montre de la Russie que des stéréotypes malheureux.

L'immense statue représentant la Mère patrie, haute de 80 mètres, érigée sur le kourgane (1)  Mamaïev, surplombe la ville.

Sur un terrain de foot, ils appellent ça un doublé : ennuyante et déprimante, fut Volgograd. Car Tsaritsyne, première appellation oubliée de la ville, a été enterrée par le nouveau nom de Stalingrad en 1925, avant de se faire entièrement détruire par les acteurs de la célèbre bataille, en 1942 et 1943. La reconstruction a donné l’occasion à l’architecture de se staliniser, un style qui perdure largement dans la « Ville de la Volga » d’aujourd’hui – changement de désignation opéré en 1961, déstalinisation oblige, sans toutefois toucher au nouveau visage de la ville.

Intérieur d'un ancien véhicule militaire maintenant utilisé pour des excursions touristiques, avec un autocollant reprenant une phrase de Vladimir Poutine au cours de la sélection des villes hôtes de la Coupe du monde : "Comment pouvons-nous gagner sans Stalingrad ?"

Hymne aux monuments

A son avantage parfois, avec la magnifique et gigantesque (85 mètres) statue de la « Mère patrie appelle », située sur la colline mémorial Kourgane Mamaïev, lieu emblématique de la bataille de Stalingrad. À son inauguration en 1967, l’œuvre d’Evgueni Voutchetitch était la plus grande statue au monde ; son petit frère Lénine surplombe lui le fleuve du haut de 57 mètres au nord de la ville. Placé non loin de l’entrée du canal reliant la Volga au Don, ce Lénine était, à l’époque, la plus haute statue d’une personne ayant vécu. Siégeait avant lui un énorme Staline… qui a disparu pendant la déstalinisation.

La statue de Lénine -57 mètres de haut tout de même- rivaliserait presque avec celle de la Mère patrie.

Il faudrait oublier le reste. On pouvait beaucoup attendre du symbole du début de la fin du nazisme, et pourtant, si ce n’est pour le dévasté, mais toujours debout Moulin de Gerhardt (dont on imagine qu’il a survécu aux combats), la ville se contente d’une gloire orientée sur elle-même ; le visiteur étranger a du mal à comprendre le déroulé des événements, et que les supporters venus d’ailleurs ne comptent pas sur l’accessibilité internationale du musée de la bataille de Stalingrad. Aucun effort n’a été fait de ce côté, à part quelques traductions hagardes en anglais pour avertir les curieux passants des horaires d’ouverture.

Musée de la bataille de Stalingrad.

Une moitié de pont

Sous le pont de Volgograd.

La Volgograd Arena (45 000 places, estimation minimale du coût à 220 millions d’euros) construite sur feu le stade central pour la Coupe du monde est tout de même un petit quelque chose dans cet océan stalinien. Une belle structure entre la Volga et la Mère patrie. Mondial oblige, l’enceinte sportive a été terminée à temps ; le pont qui traverse le fleuve à quelques centaines de mètres, lui, attend encore. Il s’agit du pont Volgograd, inauguré en 2009, mais dont le second plateau a été remis aux calandres grecques – ou emporté par le vent qui faisait littéralement danser l’œuvre, avant quelques modifications nécessaires.

La Volgograd Arena et ses 45 000 places.

Des modifications sous forme de rénovations, c’est encore une fois l’avantage number one cité par les habitants rencontrés. La ville est plus belle, les infrastructures meilleures – il faudra juste se dépêcher pour terminer les trottoirs de l’avenue Lénine (et les autres), ainsi que l’entourage du stade. Un inconvénient, peut-être, certaines usines devraient fermer pendant la compétition à cause de la pollution. On peut ainsi sans risque penser que chacun adhère à sa manière à la démonstration d’Anton le Rebelle, vieux rocker de la ville qui fait partie de ceux qui essayent de faire taire l’ennui : « La Russie évolue dans une lente spirale et la Coupe du monde permet d’accélérer le mouvement. »

Vue sur les usines de la ville.

Maxence Peniguet, le 8 juin 2018

Notes

(1) Kourgane : mot d'origine tatare qui désigne une butte.