Violemment poétiser les souffrances faites aux femmes
Transformer la parole brute de la violence faite aux femmes.
Année après année depuis 2003, Perrine Le Querrec poursuit entre autres quêtes littéraires et humaines un formidable travail de mise en langage, en poésie ou en pamphlet, d’un matériau particulièrement brutal et particulièrement symptomatique des maux et des souffrances radicales qui nous entourent, avec leurs causes multiples et pas toujours simples à cerner. Sans misérabilisme et sans complaisance, elle explore ainsi des archives psychiatriques et médicales (« Le plancher », « Jeanne L’Étang »), des journaux ou des archives judiciaires concernant des drames jugés longtemps après les faits (« Le prénom a été modifié »), ou encore des témoignages rares à propos de figures dites au minimum « borderline » (« Ruines », « La ritournelle »).
Conjugaison
(se taire)
Je me tais
Ta gueule !
Il me tue
Nous nous taisons
Vous, vous vous taisez
Ils assassinent
C’est d’une résidence effectuée par l’autrice entre le 4 décembre 2017 et le 26 janvier 2018 à la Villa Calderón de Louviers qu’est issu ce « Rouge pute », publié en mai 2018 chez l’éditeur rouennais Christophe Chomant, avec le soutien de La Factorie, maison de la poésie opérant à Val-de-Reuil. Grâce au centre social de La Chaloupe, Perrine Le Querrec s’est longuement entretenue, collectivement au tout début, individuellement ensuite, avec neuf femmes ayant trouvé ici refuge, si ce n’est encore remède, à leur sort de battue et violée.
Journal de résidence : 8 décembre 2017. Nuit de cauchemars, leurs mots et la violence qui m’empêchent de dormir, je ne cesse de crier « non », oh non pitié, arrêtez, arrêtez de toucher aux femmes, arrêtez l’horreur, devenez humain. Me réveille main sur la bouche le visage, entre mes doigts les Non.
Je n’étais pas préparée, on n’est jamais préparé à la violence, sa souffrance, son poignant visage, et la peur.
« Sans retenue », « sans tabous », « avec les mots qu’on veut », la parole a pu ici se libérer, et l’art analytique et tragique de Perrine Le Querrec a su transformer cette parole brute en une forme élaborée et poignante de transmission de l’indicible, de transmission de la violence, de la peur, de la menace, du désespoir… et de l’espoir.
L’interrogatoire
T’es où ?
Avec qui ?
Tu fais quoi ?
Tu rentres quand ?
Chaque question. T’es où ? Tu rentres quand ?
Attaque à ma liberté. Où tu étais ? Avec qui ?
J’ai été tellement battue. Tu fais quoi ? Avec qui ?
Je me suis tellement battue. Avec qui ? Et pourquoi ?
Pour la conquérir ma liberté. Qui ? Quoi ? Où ?
Maintenant, à la moindre question. Tu rentres quand ? t’es où ?
Tu fais quoi ?
Avec qui ?
je bloque je débloque je recule je refuse je m’enfuis
avec qui je veux où je veux quand je veux
Ouvrage après ouvrage, Perrine Le Querrec tisse ainsi une dense toile de réel complexe, méritant souvent, comme c’est clairement le cas ici, le sous-titre sans mensonge de « Poésie violente », et c’est ainsi que l’art à son plus haut nous apporte, pas à pas, la chance et l’espoir d’une délivrance.
Journal de résidence : 23 janvier 2018. Mot après mot elles se sont redressées. Leur courage, leur joie de vivre, leur force, c’est cela qui a mené l’écriture ; notre besoin commun de briser le silence et l’indifférence autour des violences faites aux femmes, violences conjugales, sexuelles, psychologiques, violences humaines, violences de la société, la violence ses nombreux visages, c’est cela que vous allez lire.
Perrine Le Querrec - Rouge Pute - Christophe Chomant éditeur, coll. La Factorie
Charybde2 le 4/06/18
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