Nicolas Mingasson : Fatal rotor par temps de guerre
La mort dans le ciel, en Afghanistan. La chronique précise et émouvante d’un tragique accident d’hélicoptère.
Journaliste, photographe et écrivain, Nicolas Mingasson avait su avec un redoutable talent nous faire partager le quotidien, avec ses dits et ses non-dits, d’un groupe de combat français dans l’Afghanistan de 2010 (« La guerre inconnue des soldats français », 2012). Avec ce « Pilotes de combat », publié aux Belles Lettres en 2018, il se livre, sur le même terrain apparent (celui de la lutte contre les talibans et autres factions rebelles face au gouvernement central afghan, dans le cadre de la coalition internationale mise en œuvre depuis x), à un exercice en réalité très différent.
Mathieu Fotius (à qui l’on doit le récit qui a servi de matière première à Nicolas Mingasson, qui en a fait ici son narrateur) et Matthieu Gaudin forment un équipage français de l’ALAT (Aviation Légère de l’Armée de Terre), en charge d’un hélicoptère Gazelle armé, escortant des transports de troupes et de matériel, fournissant de l’appui-feu aérien à des combattants engagés au sol, ou glanant des éléments de renseignement et de reconnaissance lorsque jugé utile ou nécessaire. Le 10 juin 2011, pris dans un rare phénomène météorologique local, leur appareil s’écrase sur un contrefort montagneux de la vallée de x. C’est la chronique forte et subtile des quelques semaines ayant précédé et suivi l’accident qui nous est livrée à présent.
Les chiens aboient et moi, je crève. Mon CIRAS m’écrase et m’étouffe, mon casque m’assomme. Les chiens aboient et je ne peux pas bouger. Je me traîne dans le sable et la poussière. Qu’est-ce que c’est que ce merdier ?! Je vire mon casque, c’est déjà ça. Pour le reste… impossible de m’extraire de mon pare-balles : j’ai beau me contorsionner, me débattre comme un poisson jeté sur une rive sablonneuse, rien à faire… Je dois être lamentable… Il faudrait que je me lève, que je m’assoie, que je bouge, mais mes jambes refusent de répondre, de faire le moindre mouvement. Elles m’ont abandonné. C’est trop pour elles ! Il faut dire que depuis ce matin… En tout cas, je n’ai pas mal, c’est toujours ça. Une force me pousse, m’oblige : non, ce lit de sable et de poussière ne sera pas celui de mon dernier soupir.
En comparaison de son travail minutieux au milieu des troupes au sol, deux choses frapperont la lectrice ou le lecteur dans ce « Pilotes de combat » (au-delà du seul aspect, essentiel bien entendu, du tragique et du poignant de l’histoire elle-même) : la complexité de la mécanique de création de la camaraderie de combat, d’une part – prudente et comme asservie à la maîtrise en commun de dizaines et dizaines de routines techniques indispensables -, et le sentiment – avoué – de relative impunité de ces pilotes : à la différence de leurs camarades à terre, ils ont peu à redouter, concrètement, de la part des combattants adverses, dont les armes anti-aériennes efficaces ont été depuis longtemps utilisées, ou croupissent quelque part, inutiles faute de maintenance ad hoc. De ce fait, le véritable ennemi – comme l’histoire contée ici le prouve -, c’est bien le vol lui-même, et les redoutables caprices météorologiques d’un paysage de moyenne ou haute montagne où règne en maître la poussière, potentiellement fatale aux moteurs. Et un climat insidieux et étrange finit par habiter ces lignes, évoquant curieusement les faux-semblants et les dérives bosniaques d’autres militaires, ceux du si beau « Autopsie des ombres » de Xavier Boissel.
Je vois les ombres des Américains surgir de leurs machines. Une équipe pour toi, partant derrière les lambeaux de notre Gazelle, et deux gars pour moi. Je leur parle de toi, de mon chef de bord éjecté quelque part, je ne sais où. Ils me calment, me disent de ne pas m’inquiéter, que leurs collègues prennent déjà soin de toi. Dans un immense soulagement, une sorte de repos, je les vois s’affairer autour de moi, retirer mes rangers, découper mon pantalon, m’installer dans un brancard de campagne. C’est fini, ils me récupèrent, m’emportent loin de ce sable, de cette poussière, de cette plaine aride, de ces chiens que je n’entends plus, de leurs maîtres qui n’auront pas notre peau. La lutte est finie, je peux baisser la garde, rendre les armes, cesser d’entretenir coûte que coûte l’espoir. D’autres viennent de prendre le relais pour moi.
Sans doute moins riche en ramifications multiples que « La guerre inconnue des soldats français », « Pilotes de combat » demeure néanmoins, en 120 pages, une intrusion rare et remarquable, émouvante sans recours à des moyens lacrymogènes indignes, dans le quotidien compliqué d’une paradoxale guerre technique et mécanique face à un ennemi évasif, aux moyens faibles mais à l’obstination dépassant souvent l’imagination militaire « normale ».
Nicolas Mingasson - Pilotes de combat - éditions des Belles Lettres
Charybde2 le 22/06/18
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