La pile voltaïque : Pierre Sandwidi

Pierre Sandwidi, alias le Troubadour de la savane était une star de la musique voltaïque des 60's et 70's. Auteur-interprète engagé, aussi exigeant que singulier, il a dressé en son temps le portrait de la société burkanibè et de ses travers, en fin observateur des rapports sociaux. Mordant, mais pas que … 

En dépit d’une précarité économique et d’un enclavement géographique important, des formations comme le Super Volta, l’Harmonie Voltaïque, le Volta Jazz portées par des artistes comme Amadou Balaké, Georges Ouedrago ou Pierre Sandwidi ont largement contribué à ce nouvel élan musical et culturel commencé dans les années 60 qui a porté l'Afrique et qu'on découvre de plus en plus, ces derniers temps, avec le remarquable travail des labels indé qui en dispensent le suc, comme ici avec Born Bad qui focalise sur le Burkina Faso et Sandwidi.  

Car, pendant longtemps, la scène burkinabè a été éclipsée par les musiques populaires maliennes, ivoiriennes, ghanéennes ou béninoises, plus reconnues au niveau international. La Haute-Volta, avant de devenir le Burkina Faso, a vu une véritable révolution culturelle prendre son essor après l’indépendance obtenue en 1960. 

Cette compilation, tirée de ses huit 45 tours et de ses deux albums en 33 tours, regorge d'œuvres fondatrices comme l'hymne Ouaga Affaires. Au-delà de la portée sociale de ses paroles qui dénoncent la corruption du régime, l’individualisme rampant dans les villes et l’oligarchie aux commandes du pays, le chanteur s’impose aussi en son temps sur tous les dancings de l’Afrique de l’Ouest, avec des titres comme Yamb ney capitale ou Boy cuisinier et des slows hypnotiques comme Lucie ou Je suis un salaud. Il est aussi l’une des figures oubliées de la chanson africaine francophone, aux côtés de figures tutélaires comme Francis Bebey, G.G. Vickey, Amédée Pierre, André-Marie Tala, Pierre Tchana ou encore Mamo Lagbema.

Insoumis aux dires du général Laminanza au pouvoir, dès ses débuts, il va imprimer une nouvelle direction à la musique moderne de son pays avec des chansons confrontant clairement les changements sociaux en cours qui vont lui faire énoncer les méfaits de la vie en ville et de son développement, en défaveur des populations rurales d'un pays qu'il l'est en majorité… Au long de sa carrière, il évoluera de critique de Laminanza à soutien actif à Sankara qui fondera le Pays des Hommes intègres aka Le Burkina Faso… 

Sandwidi s’investi activement pendant la révolution dans l’animation culturelle de son quartier en sa qualité de militant du Comité de Défense de la Révolution. Après la chute de Sankara, il délaisse la politique. Il compose alors chansons et pièces de théâtres. En 1995, sa dernière œuvre sera Cousin Halidou. Puis, malade, il décèdera en 1998.

Ses obsèques ont un retentissement national alors qu’une nouvelle génération redécouvre ses œuvres fondatrices. En dépit de cette reconnaissance posthume, il avait coutume de dire à sa famille que nul n’est prophète en son pays. Selon sa femme, Pierre Sandwidi était persuadé qu’un jour un intérêt se porterait depuis l’étranger sur son œuvre. Vingt ans après sa disparition, cette compilation rend ainsi hommage à l’un des artistes les plus singuliers et intransigeants d’Afrique de l’Ouest. Pour le vérifier, il suffit d'écouter sa chanson anti-macronienne : Je demande ma démission qui parle d'un manœuvre jamais augmenté depuis des années qui voit tout augmenter autour de lui, sans jamais en profiter d'une quelconque manière. Un chanteur prémonitoire. 

Jean-Pierre Simard, d'après Florent Mazzoleni le 28/05/18

Pierre Sandwidi - Le Troubadour de la savane - Born Bad