Sylvain Rifflet aime faire claquer le silence
Mechanics fut un des grands albums de 2015 et l'arrivée du DVD de La Huit prod le couplant à Perpetual Motion un bonheur pour tous ceux qui se retrouvent dans le silence qui surgit de la fin des impros sur canevas et trames répétitives. No Comprendo ? On ouvre avec un concert pour saisir au plus près le propos.
Le premier film, de Guillaume Dero (48'), intitulé à juste titre Mechanics montre un live au Paris Jazz festival du Parc Floral, le 11 juin 2013, où s'intercalent trois soli sans décor, où le saxophoniste en manteau rouge, actionnant les clés de son sax, nous offre "Double", "Tout dit" (Camille), O grande Amor ( Antonio Carlos Jobim). Les extraits du concert sont aussi interrompues par les notables commentaires du leader qui révèlent le psectre musical, mixant musique improvisée (l'apport du jazz), répétitive, pop, rock ...
Le concert est filmé avec beaucoup de gros plans du flûtiste Joce Menniel, compagnon infatigable du groupe, ou le travail sur les percussions et métaux traités de Benjamin Flament, soutenu par la guitare de Philippe Gordiani. On s'immerge ainsi dans ce rapport physique à l'instrument, à cette illusion sonore constamment entretenue par l'action réversible des musiciens qui endossent plusieurs rôles. Une véritable dramaturgie de la musique, pas seulement dans l'architecture des solos, mais aussi dans l'art de mener des ruptures franches et surprenantes. Insolite, toujours imprévisible dans ses intonations, le saxophoniste invente ses pensées, prétendant à une certaine vérité quand tout est imaginé. C'est un excellent docu, mais on reste sur sa faim à l'image…
Perpetual Motion, a celebration of Moondog (51') d'Arthur Rifflet commence par "2nd West 46th Street" de Moondog , qui reprend les tutti saccadés, caractéristiques du groupe, cette fois avec des enfants et offre du même coup, l'origine des passions sonores de Rifflet. Et, comment ne pas l'être quand, ce clochard aussi céleste qu'aveugle, qui vécut dans la rue, à New York pendant trois décennies. laisse encore quelques années, après son décès en Allemagne, quelques 800 partitions à déchiffrer.
Une quinzaine de titres sont ici re-mitonnés par les musiciens, avec des sons contemporains, pour leur offrir s une sorte de "mouvement perpétuel". Beaucoup de ces titres intemporels sont encore actuels From the JB n°2 Jazz Book avec leurs changements d'accords si particuliers et leurs harmonies accrocheuses.
Le film bouscule la chronologie : duos en différents lieux, scènes de rue avec des passants, recréant ainsi les conditions véritables de jeu de Moondog. Des fragments saisissants montrent des ouvriers au travail, l'un en particulier déblayant la neige avec une pelle qui frappe en rythme le trottoir; il y a encore un mendiant secouant son gobelet, un Noir qui tape en plein milieu de la rue, sur des bidons en plastique sur un rythme 4/4. Ajoutez à tout cela une interview de Moondog lui-même, en 1971, où il explique comment il écrivait la musique qui lui plaisait, aux rythmes avant-gardistes en 5/4, 7/4, sur des harmonies et mélodies du XIXème siècle. D'où son surnom en Grande Bretagne de "Beethoven du beat".
Un document passionnant, malin et sur le vif, qui donne à entendre "Heat on the Heather", "Askame", "Santa Fe" avec Eve Risser, "Elf dance" avec kalimba, guitare et sacs plastiques. Le groupe est en effet constitué des fidèles auxquels s'ajoute la pianiste Eve Risser et le saxophoniste Jon Irabagon. Là, on comprend et on apprécie mieux le propos filmé.
Ludwig van Elton John (avec Sophie Chambon) le 23/04/18
Sylvain Rifflet Mechanics / Celebrating Moondog, éditions La Huit