Tout se transforme à Chaumont quand on dépasse le mur du son !

Catherine di Sciullo, directrice de la médiation du Signe à Chaumont est aussi la brillante (devrais-je plutôt écrire la lumineuse) commissaire de la sonore exposition « Tout se transforme », avec le studio Chevalvert pour 3 des 4 créations exposées et pour la scénographie et la très belle signalétique !

Le Pianographe

Avant de pénétrer dans l’exposition située à l’étage, on entend bien qu’il se trame quelque chose. C’est doux, c’est beau, cela rend curieux. Ce n’est pas une mélodie, non, ce n’est pas de la musique, ni un chant, c’est une sorte de rêve. Un signe sonore, comme une invitation.

Ce qui nous fait face, c’est une drôle de charpente, élégante, sorte de série de triangles à l’envers… c’est en bois, c’est en blanc et c’est une canopée… La Canopée Sonore.

Pour la petite histoire, cette œuvre est une étroite collaboration avec les élèves de BTS Système Constructif Bois et Habitat du Lycée des métiers Charles de Gaulle à Chaumont. Une sorte de « commande » qui est rentré dans la progression pédagogique des élèves. Un travail appliqué et impliquant, d’une très grande fluidité comme me le confiera Catherine di Sciullo. Le studio Chevalvert à fait un simple croquis de l’idée et les élèves ont fait des propositions, se sont confrontés aux contraintes, de temps, d’espaces, de déplacement de l’œuvre jusqu’au lieu d’exposition… Une immersion totale dans la pratique professionnelle et créatrice de leur métier.
En pénétrant dans l’expo, l’immersion est immédiate. Ici, pas de longue présentation, ni de grand texte explicatif, et encore moins de mode d’emploi. Votre présence suffit à produire du son et de la lumière. Vous êtes autant le médium que le signal lui-même.

Votre passage sous les fines lignes de led les allument et produit une note. Très vite, on comprend qu'on à faire à un instrument. Alors, notre chorégraphie (de simple pas pour aller de l’entrée au fond de la salle) devient sons, à moins que ce ne soient les sons qui engagent notre chorégraphie…

Je suis seul, une famille est déjà passée de l’autre côté, j’ose : les bras en l’air, des pas de côté, et je me prend pour le Gene Kelly (tout petit, mais on a le droit rêver) du Signe.

Je me ressaisis, et guidé sans être jamais obligé par la signalétique d’une grande élégance, je découvre Le Pianographe… Il est là, derrière son mur violet, « l’incarnation ludique et poétique de l’harmonium du XIXe siècle » nous dis la brochure. Pour ma part, j’y vois de suite la source de l’invitation première… c’est de lui que vient le son de tout à l’heure.

J’observe d’abord. C’est beau de voir un son. C’est beau de voir des sons. On ne sait pas d’où ils viennent, on apprivoise le clavier du regard, on lit à peine les 4 mots, on se questionne un court instant et puis on se lance…

D’abord agir sur des boutons qui ressemblent à un équalizeur… Ensuite, les « potards » à gauche, qui ressemblent à un volume et une tonalité, sont en réalité le moyen de changer la vitesse des sons et leur espacement dans le temps. On pourrait y rester des heures, tant les changements peuvent être subtiles, parfois imperceptibles, mais révélant d’autres sons qui étaient présents, mais plus en « arrière » jusqu’alors. Tout semble possible. Et lorsque qu’on tire ou pousse sur les « pistons » sur la droite, on comprend que le Pianographe est le cousin éloigné de l’harmonium, Phase, Reverb, Profondeur… Les timbres changent, évoluent, se transforment.

En 2017 le premier Opus avait pour titre « Tout est dans tout », il y a une jolie filiation que l’équipe de la médiation du Signe tient à continuer d’écrire avec « Tout se transforme ». On pense à Tristan Garcia et sa philosophie des choses. Une chose contient le monde, le monde contient les choses, et les deux premiers « objets » sonores et graphiques semblent bien nous le démontrer dans une sublime poésie sonore et aléatoire. (La Canopée fait un joli pied de nez aux toits des usines, et semple être la parfaite graphie des cieux sous lesquels on aimerait bien déambulé plus souvent ; puis le Pianographe, créé par Florent et Romain Bodart, l’un graphiste, l’autre musicien, qui compose un tableau visuel généré par le son et ses différents spectres).

Mais la déambulation n’est pas terminée. M’accompagnant du design sonore que je viens de créer (tout le monde l’entend), je glisse jusqu’au « Murmur », une création de 2013, augmentée pour l’exposition au Signe, du studio Chevalvert.

Une nouvelle fois derrière le mur(mur) violet, je découvre un pied de micro relié à un écran. Interaction évidente avec la voix, le clap des mains, le snap des doigts et comme un Jackson Pollock nous voilà en train de faire du dripping numérique sur une toile-écran : motifs, simples billes, ellipses algorithmiques plus complexes explosent au bout d’une guirlande qui part du micro jusqu’à l’écran. Effet hypnotique, quasi magique et dans le même temps très doux. Succès garanti auprès des enfants, mais aussi des apprentis-chanteurs, diseurs, lecteurs, poètes, faiseurs de sons.

Difficile de se détacher de l’hypnotique Murmur (une belle trouvaille que ce nom, tout ce qui se joue dans le mot, se joue dans le son et se joue sur le mur qui fait face… Mais ce qu’il renvoie ce n’est pas un son amplifié, non plus une traduction graphique littérale du murmure, mais plutôt la réverbération douce et visuelle, d’un geste, d’un mot, d’une idée, d’une note).

La dernière « machine » qui nous attend à côté est une sorte d’orgue de barbarie : Le Sonophage, littéralement le mangeur de son. L’objet le plus familial sans doute, s’apparentant (sans jeu de mot) à une sorte de grand jeu où l’on agence des modules en bois de différentes couleurs (chaque modules pouvant devenir signes, lettres, mots etc.) sur un tapis (un papier à musique en velcro) qui tourne perpétuellement et les transforme en sons, mélodie hasardeuse et sonore. Le Sonophage mange les silences aussi, en l’absence de modules et en ce sens pourrait bien être l’emblème d’une industrie qui n’a plus rien à dire ou à produire, si ceux qui y travaillent (y collaborent dans le cas du Sonophage en organisant le travail pour agencer les modules) disparaiss(ai)ent ! On a beau s’adresser à un large public, on peut aussi lui parler politique…

La réussite de chacune des créations ne s’adressent pas spécifiquement à un public. Il faut reconnaître que le Signe prend le parti d’attirer un public inter-générationnel sans avantager l’un ou l’autre, ainsi qu’un public de connaisseurs comme de néophytes, avec la même volonté. La commissaire et la directrice de médiation, avec toute son équipe, montrent qu’il est possible de faire une exposition captivante, intelligente, mais aussi sensible, poétique, sans exclure ou sans priver une partie de « l’écouteur-regardeur » du plaisir de se retrouver en immersion, portée dans l’espace, tantôt enveloppé, tantôt contemplatif et le tout dans des moments courts ou longs.

Tour à tour témoin du passage des « visiteurs » qui le précède, porté par les traces sonores laissées, comme autant d’empreintes dans l’air ; et faiseur de nouvelles pour ce.lles.eux qui suivront.

La commissaire est heureuse de nous apprendre que Le Bel Ordinaire à Pau désire programmer l’exposition à son tour en septembre 2019. Voilà, une belle nouvelle pour Le Signe qui se trouve dans la conception d’expositions itinérantes, partageant de belles initiatives autour du graphisme d’aujourd’hui.

Il faut ici souligner que les ateliers (d’une grande étendue, qui peuvent aller du Workshop pour étudiants post-bac, à l’atelier adulte en passant évidemment à l’atelier pour les plus petits) sont d’une exigence pointue.

La Boîte Graphique

J’ai eu l’occasion d’avoir une belle démonstration par Marie Calon, chargée des publics, du travail effectuer lors de l’atelier Écoute-voir ; je vous laisse juge, mais pour moi, c’est juste le parfait sens du mot pédagogie. 
C’est une boîte graphique, une casse (comme celle qui renfermait les précieux caractères en plomb), avec un alphabet de petites cartes perforées. Les participants sont amenés à utiliser un composteur pour composer leur mot et à le reproduire sur du papier qu'ils perforeront. Les mots réunis en exquise phrase poétique se jouent ensuite dans une boîte à musique.

La Casse

 
L’éducation nationale à du souci à se faire, car bientôt, on comprendra qu’il est aisée d’apprendre des milliers de choses, en étant dans la poésie, les expériences, le hasard, la coopération, l’entraide, le collectif, le juste contraire de ce qui se « joue » actuellement dans une école où la compétition, l’individualisme et la réussite pour se trouver un travail idiot fait rage. 

Le Coucou 


C’est évidemment une autre histoire…   Mais lorsque je quitte le Signe, j’ai dans ma tête ce petit air et ce merveilleux cadavre exquis que n’aurait pas renié notre ami Marcel Duchamp !

Mon cheval mosaïque est joyeux, beau, il sait parler, sauter et pâlir.

Pas mieux !

Richard Maniere le 14/04/18

TOUT SE TRANSFORME Opus 2 -> 22 avril 2018 Le Signe à Chaumont
Commissaire : Catherine di Sciullo
Création Chevalvert : Murmur, Le Sonophage, La Canopée sonore
Création Florent et Romain Bodart : Le Pianographe