F'Murr, définitivement perdu là-haut dans les étoiles
Richard Peyzaret, alias F'Murr, s'est éteint hier à l'âge de 72 ans. Dessinateur et scénariste, il est l'auteur d'une oeuvre majeure, à l'image de sa série Le Génie des Alpages, grâce à un dessin génial et un magistral humour décalé, tour à tour absurde, loufoque et corrosif - à consonance philosophique.
F'Murr (ou F'Murrr, "trois R et demi" selon lui) avait débuté sa carrière dans la BD au magazine Pilote, créé par René Goscinny, en 1971. C'est également dans Pilote que commence, en 1973, la série Le Génie des Alpages. Mettant en scène Athanase Percevalve, berger rêveur, son chien Génie et le bélier Romuald, cette série restera comme "un modèle de réjouissante pagaille et de non-sens rigoureusement maîtrisé".
Le Génie des alpages, tome 2 : Comme des bêtes de F'Murr
LE CHIEN : Dis, tu as un bottin...
LE BERGER : Oui, je sais, on me l'a souvent dit !!
LE CHIEN : UN ANNUAIRE !
LE BERGER : Oh, pardon !
«Selon moi, la signature d'un écrivain, comme celle d'un dessinateur, s'apparente plutôt à une griffe. Et je me suis souvenu du Chat Murr, ce conte d'Hoffmann où un matou racontait sa morne existence avec une fatuité, une pédanterie qui valaient leur pesant de pâtée pour chats. J'ai donc décidé de signer avec un paraphe imprononçable et d'y ajouter quelques «r» de plus, selon ma fantaisie.»
"Je cultive l'absurde et le loufoque par goût personnel. Moins le sens est évident, plus je suis content. Je me méfie de tout ce qui est cadré et présenté comme une vérité monolithique: on ne peut approcher une vérité que par ce qui déborde", expliquait F'Murr dont le dernier album, Robin des Pois à Sherwood, une version délirante et absurde de Robin des Bois où Marianne prend les devants, était paru en 2011.
Le Génie des alpages, tome 5 : Les Intondables de F'Murr
Le chiendent est un être mi-canin mi-végétal, et qui pour se nourrir, profitant du sommeil des humains va s'agripper sur leur poitrine, en enfonçant profondément ses racines jusqu'aux organes vitaux … jusqu'au cœur … D'où l'expression : "mal de chien".
Parmi ses oeuvres figurent aussi Le Pauvre Chevalier, histoire pseudo-médiévale d'un chevalier raté qui pratique la lévitation, Spirella mangeuse d'écureuils, histoire d'une espèce de Spirou femelle et d'un écureuil baraqué comme un ours qui entretiennent des rapports équivoques ou encore Jehanne d'Arc relatant l'histoire d'une héroïne paillarde et portée sur la boisson, copine avec Attila et Gilles de Rais, qui s'épanouit dans un Moyen-Âge peuplé de Huns et de mammouths et tombe amoureuse d'un extra-terrestre. F'Murr lui donnera un fils, Timofort, dont les aventures seront relatées dans Tim Galère.
«Pour sortir de l'impasse, parfois, il ne me reste que le «non-sense», confiait-il encore. C'est pour cette raison que j'adore ce qu'ont fait les Monty Python... Je considère un peu Le Génie des alpages comme une «tragédie optimiste», selon le mot de Brecht. C'est pour cette raison que j'y rudoie mes brebis avec la plus parfaite innocence. Le monde est si fou.»
Hélas, avec la mort de F'Murrr, le monde risque de devenir follement moins drôle...
Adieu grand homme. F'murrr avait les sourcils aussi broussailleux que la lande alpine qu'il aura dessiné toute sa vie. On le croyait bourru, c'était le plus charmant des dessinateurs. L'homme n'était pas à un paradoxe prêt. Et le ciel de rétrécir soudain, sans lui, là-haut sur la montagne.
Maxime Duchamps le 11/04/18