David Lynch, dernière fixette à l'image du Jack White de Boarding House Reach
Est-il possible de faire un album d’une qualité au moins inverse à la laideur de sa pochette ? Jack White répond par l’affirmative. Mais ce n'est pas là qu'on l'attend. On le retrouve plutôt ici…
En auteur, musicien et producteur entièrement libre, sur son propre label, Jack White donne en 44 minutes et 13 morceaux, une leçon de musique instantanée. En dehors de toute étiquette, en dehors des modes, en dehors des structures de la chanson rock que les productions veulent imposer, l’émancipation du garçon fait plaisir à écouter. Mais à voir, pas trop …
Car il ne faut pas s’arrêter à la première écoute de cet étrange Boarding House Reach, assez déroutant car, ne filant pas d'entrée les recettes bien usées versus reconnaissables d’une musique mille fois jouée, mais jamais lassante. Garage quand tu nous tiens !
Originale ? Non Mais singulière sans aucune doute. Il y a ici au moins du Zappa, voire même du Prince, en une sorte de synthèse assez « velue » d’une musique funky et pourtant sincèrement « garage ».
L’album n’est pas fait pour séduire d'entrée les fans de la première heure… Et c’est peut-être en cela qu’il séduit immédiatement. Qu’il se frotte aux claviers syncopés, aux saturations ultra-électro, ou bien au hip-hop, son aisance et sa sincérité transpirent à travers tous les sillons du disque, si tant est qu'on l’achète en vinyle.
Corporation dans son délire psyché, Why walk a dog ? dans sa saturation synthétique, Abulia and Akrasia dans son rôle d’intermède, tous les titres ont quelque chose d’une très bonne idée. Elle allume l’étincelle des très bons morceaux.
White s’amuse, prend son temps, hésite, revient, puis finalement, enregistre… On a cette impression qui court tout au long du disque : celle d’une expérience en mouvement, la côté boîte à outils qui s'ouvre et se ferme, en restant toujours à portée de la main. Si Hypermisophoniac ressemble bien à un titre de rhythm'n'blues banal, c’est du côté de l’exubérance de Prince que le titre vire et l’enchaînement avec l’ovni Ice Station Zebra montre à quel point Jack White s’autorise toutes les excentricités sans rougir. Et pourquoi (en) rougirait-il d’ailleurs ?
L’album ne plaira sans doute pas aux critiques du rock qui ont soit-disant cette « science » de définir et de clamer ce qui est rock et ce qui ne l’est pas… (j’ai pris soin de ne lire aucune des « critiques » avant d’écrire ces lignes).
Mais la musique étant l’art de l’éphémère, de l’instant, il faut, en écoutant Over and Over and Over, comprendre qu’elle peut aller dans tous les sens, tout en dessinant les contours exact d’un univers avec son Lego complet ; celui de Jack White s’agrandi, et se libère de l’espace temps, un peu comme Bowie avec son Black Star, en plus brouillon peut-être, mais avec la même sincérité.
J’ai entendu dire que son concert était très funky au Trianon le vendredi 13 avril…
L’Olympia déjà complet, un mois plus tard, n’est malheureusement pas un gage de grand concert (le lieu est depuis un moment déjà, synonyme du meilleur comme du pire, c’est un peu la loterie). Peut-être faudra-t-il le suivre jusqu’aux nuits de Fourvières pour y vivre un grand moment. Mais là ne se joue pas le primordial.
Cet album, démontre que l’on peut être un artiste archi (re)connu et prendre le risque d’être détesté, non pas en cassant son jouet, mais en laissant l’inspiration diriger son art, avec ce petit air qui s’attrape et se laisse porter par ce qui nous nourrit depuis des années. Et faire une musique contemporaine, de son temps, - sans tomber dans la facilité de faire uniquement ce que l’on fait le mieux - est une gageure dans le contexte actuel.
Et quand bien même la pochette reste une maladresse, (pour ne pas dire un truc très moche), elle tient à la possibilité d’en faire deux choses radicales : l’étiqueté pour que l’on sache que c’est un nouvel album de Jack White (ce que visiblement ont choisi les publicitaires dans le métro), ou bien l’ignorer, et s’imprégner entièrement du disque que l’artiste à décider d’enregistrer dans les conditions d’un album que l’on fait chez soi, en superposant les expériences, les idées, les sons, les trouvailles au fur-et-à-mesure des compositions.
L’audacieuse musique rejoint alors, celle des plus grands, elle frôle le jazz, le rock, le rap, l’électro, mais elle s’affirme surtout comme la musique de Jack White, unique et singulière, reconnaissable entre toutes, référencée sans doute, mais en plein dans son époque. Inclassable, inlassable donc.
Richard Maniere le 11/04/18
Jack White Boarding House Reach Third Man/XL Recordings