L'Afrique du Sud décillée de David Goldblatt
Avec plus de deux cents clichés, des documentaires tv d'explication de l'auteur et une jolie scénographie, Beaubourg présente la première rétrospective du photographe sud africain David Goldblatt pour une vision engagée avant, pendant et après apartheid. Bouleversant souvent.
Né en 1930, David Goldblatt parcourt l’Afrique du Sud, depuis presque trois quarts de siècle. À travers ses photographies, il raconte l’histoire de son pays natal, sa géographie et ses habitants, en examinant scrupuleusement l’histoire complexe de ce pays, lui qui fut témoin de la mise en place de l’apartheid, de son développement, puis de sa chute. Lauréat du Hasselblad Award (2006) et du prix Henri Cartier-Bresson (2009), David Goldblatt est aujourd’hui considéré comme l’un des photographes majeurs du 20e siècle, mais pour bien d’autres raisons qu’une simple fidélité à son sujet. L’artiste limite chaque travail personnel à un lieu particulier, dont il a une très bonne connaissance. Cette parfaite maîtrise du terrain lui permet de trouver la forme la plus juste pour exprimer toute sa complexité. Si son approche documentaire le relie à des maîtres tels Dorothea Lange, Walker Evans, August Sander ou encore Eugène Atget, Goldblatt n’a jamais voulu adopter des solutions photographiques déjà existantes.
La singularité de l’art de Goldblatt réside, plus largement, dans son histoire personnelle et sa vision de la vie. Né dans une famille d’immigrés juifs lituaniens fuyant les persécutions, il est élevé dans un esprit d’égalité, de respect et de tolérance vis-à-vis des personnes d’autres cultures et d’autres religions. Dans sa maison natale, remplie de livres, les différences d’opinions se discutent. Ses frères aînés le sensibilisent aux questions sociales et l’introduisent à la pensée de gauche. En témoignent ses premières photographies réalisées entre 16 et 18 ans - dockers, pêcheurs, ouvriers miniers. Le sujet de la mine l’intéresse tout particulièrement : devenu jeune photographe professionnel, il réalisera plus tard une série autour des mines en déclin, voire abandonnées, de sa région natale. Ces photographies constituent la matière de son premier livre photographique, On the Mines, qu’il signe avec Nadine Gordimer. À cela s’ajoutent sa curiosité et sa volonté de comprendre, plutôt que de bannir les attitudes qu’il ne partage pas. C’est ce qui l’a poussé, après l’avènement de l’apartheid, à poser son regard sur les petits agriculteurs afrikaners qu’il croisait dans la boutique de vêtements de son père. Ces images sont publiées en 1975 dans son deuxième livre, intitulé Some Afrikaners Photographed. Le désaccord avec la politique raciale de l’apartheid et les abus du gouvernement actuel sont à la source d’une longue série d’images entreprise il y a presque quarante ans, intitulée Structures. Les photographies des bâtiments et des paysages, accompagnées de légendes informatives détaillées, encouragent une réflexion sur le rapport que les formes de ces environnements entretiennent avec les valeurs sociales et politiques des individus ou des groupes sociaux qui les construisent et les habitent. Ce faisant, il retrouve le ton du Bertol Brecht des Affaires de Monsieur Jules César où il détaille, par le menu, le quotidien de l'Empereur romain, ses détails d'intendance, ses petits ennuis de santé, comme ses campagnes militaires…
David Goldblatt, toujours questionnant, mais capable de déclencher sans comprendre de quoi il s'agit sur le moment - réinterprète le cliché ci dessus, en affirmant qu'il n'avait pas compris de quoi il s'agissait d'abord. Il croyait à un mouvement de foule venue saluer le départ de la statue de Cecil Rhodes, quand au développement il s'est aperçu que cette foule levant les bras se contentait tout simplement de coller l'événement sur Instagram ou ailleurs… Il répète souvent que la photographie n’est pas une arme et qu’elle ne devrait se rapprocher d’aucune propagande, même dans un but louable. Le langage photographique qu’il a privilégié est, dans la lignée de cet esprit, à la fois simple et intense. En prenant le temps, en utilisant un appareil moyen format, en posant l’appareil sur le trépied, et en mettant ses opinions au second plan, Goldblatt donne un espace à la personne ou au lieu photographié, exprimant ainsi leurs idées et leurs valeurs. Et là encore, sans légende, tout est trouble, incompréhensible, alors qu'avec le détail du cliché, on entre dans le dur à chaque fois. Et c'est tout bonnement passionnant, des premières photos noir et blanc aux couleurs d'aujourd'hui dans l'après - apartheid, de voir que le système perdure par d'autres moyens …
Des essais de jeunesse jusqu’aux images les plus récentes, la rétrospective offre, pour la première fois en France, un parcours inédit de plus de 50 ans de photographie. Réunissant plus de deux cents photographies, une centaine de documents inédits ainsi que des films où Goldblatt commente ses photographies, elle permet au public de plonger dans cette œuvre fascinante qui apprend à regarder avec un œil conscient et analytique. Comme l’écrivait Nadine Gordimer, grande auteure et amie du photographe : « La ‹ chose essentielle › dans les photographies de Goldblatt n’est jamais un morceau, ou le raccourci visuel d’une vie ; elle est empreinte par le désir de communiquer, grâce à la connaissance et la compréhension, la totalité du contexte de cette vie, dans laquelle ce détail, parmi et plus que tous les autres, est signifiant. Et c’est la présence de ‹ chose essentielle › – et non pas le détail en soi – qui maintient l’équilibre dans la totalité, entre la généralité de ce qui a été vu à de maintes reprises et ce qui est vu de manière singulière. » Un maître.
Gilles Dalose le 6/03/18
Rétrospective David Goldblatt ->13/05/18
Centre Pompidou, galerie 4 Place Georges Pompidou 75004 Paris