Les Physical Graffiti d'Arielle Bobb-Willis
Après s'être battue avec son identité, Arielle Bobb-Willis a décidé de la prendre en compte dans son travail photographique et d'en faire un usage qui en retourne la signification : "I'm comfortable with being uncomfortable." Choc visuel du jour et approche non orthodoxe du sujet.
Dix ans plus tard, Arielle Bobb-Willis fait remonter son style à un événement traumatique intense pour elle, son déménagement de New-York à la bourgade d'Aiken, en Caroline du Sud. “Cela a été terrible pour moi, car je n'ai pas su m'adapter et je suis tombé en dépression."
Et sans vraiment savoir pourquoi, elle a acquis les bases techniques de la photographie, se retrouvant de manière récurrente dans un cours d'approche digitale. Passionnée par le medium, elle lui trouva les vertus thérapeutiques nécessaires à sortir de sa fragmentation d'alors.
“Entre dépression et anxiété, on est sans arrêt balloté entre passé et futur; mais la photographie qui oblige à se tenir au présent a été pour moi le moyen de m'ancrer et de regarder ce qui se trouvait juste en face de moi. Cela m'a permis de contrôler ce que je voyais autour de moi qui, à l'époque virait au gris. Mais j'adore que la photo m'ait donné la possibilité de créer un monde dans lequel j'ai envie d'évoluer.”
Avant de développer son style numérique, tout en couleurs flashy et poses insensées, Arielle s'est offerte une pose à la Nouvelle Orléans pour essayer de se rassembler/retrouver. “A ce moment-là, je n'arrivais plus à trouver l'inspiration et encore moins à savoir qui j'étais." En se remémorant tout ce par quoi elle était passée et la façon dont ses parents l'emmenaient enfant visiter les galeries new-yorkaises, elle se souvint de ce que cela lui faisait. Un accident de vélo, renversée par une voiture, l'obligea à rester longtemps au lit pour se soigner et lui permis de réfléchir à son sort. Et faire la paix avec elle-même.
“Je pense qu'aujourd'hui, avec le Net et Instagram, il est tout à fait loisible de se perdre dans les délires des autres et de s'oublier ou de savoir pourquoi on est là. Je suis assez contente de mes réalisations de ce moment-là, mais ça s'est accompli dans la douleur."
Une fois qu'Arielle s'est retrouvée, elle a eu l'idée, en partant du travail des peintres abstraits qu'elle admirait de représenter le corps humain comme partie d'une composition et pas comme un portrait de face. Son inspiration venait en droite ligne de ce qu'elle ressentait comme processus de dépersonnalisation durant sa dépression : "J'avais l'impression que j'étais locataire de mon corps ou qu'on me l'avait donné et c'est ainsi que j'ai commencé à diriger mes sujets. "
Poussant sa réflexion plus loin, elle décida de tordre les corps pour faire passer le message de se sentir bien, tout en ne l'étant pas. Dès lors, elle passa en revue les lieux citadins assez colorés et plein de contrastes qui pourraient composer les environnements idéaux de ses clichés, stylisa elle-même le tout et commença à shooter. Et, se souvenant de ses deux premiers essais réalisés à la Nouvelle-Orléans avec deux femmes penchées en arrière, elle trouva que c'était un bon point de départ pour se faire plus confiance.
Même si la carrière d'Arielle n'en est qu'à ses prémisses, cela lui a déjà permis de trouver un équilibre entre patience pour prendre ses clichés et envie d'aller plus loin. “J'ai surtout compris, au fil des dix ans de tâtonnement, qu'il ne fallait jamais prendre en compte l'avis des autres. J'ai compris qu'avec la photographie, la vulnérabilité avait son importance et qu'il ne fallait pas laisser les autres vous dire qui vous êtes. Je sais qu'être jeune et avoir des rêves est assez déstabilisant pour les autres, mais, je n'ai aucune envie de stagner dans ces eaux-là à répondre à de fausses attentes qui ne sont pas les miennes."
“Je dois beaucoup à la photo qui m'a permis de me développer comme personne, en m'ancrant dans le présent, de me calmer et de me concentrer sur toutes les choses importantes de ma vie."
Texte de Cian Traynor, adapté par Jean-Pierre Simard