Forcer, avec Intermezzo, les portes de la représentation par le doute
Intermezzo de Giulia Andreani ouvre une multitude de brèches dans l’histoire et la représentation du portrait, pour y inoculer doute et réflexion profonde. Grand kif !
Le travail de Giulia Andreani est depuis toujours intimement lié à l’Histoire, mais ne s’est jamais contenté d’agir comme une simple réitération ou support imagé du passé. Alors qu’elle grandit entourée de portraits d’inconnus accrochés aux murs par son père, elle développe cet intérêt pour les témoignages écrits et visuels du passé qu’elle recherche, étudie et réinvente dans sa pratique artistique. Ainsi, ses toiles et œuvres sur papier se transforment en témoins sensibles d’une époque ou d’un moment, par le biais de portraits ou de scènes baignés dans ces dégradés monochromatiques bleutés qui, à l’acrylique ou à l’aquarelle, sont caractéristiques du travail de l’artiste.
Intermezzo joue ainsi avec des oppositions symboliques qu’elle transcende en tissant le fil capable de les réunir, glissant dans chaque tableau des spores de doute, des germes d’anomalies qui oblitèrent la pensée dualiste. Comme une chambre d’échos, les problématiques se renvoient dans une scénographie fine et bien amenée, regroupant par îlots les thèmes abordés. Bien plus portée par une intelligence rhizomique, creusant ses idées autant que célébrant les rencontres et rapprochements inconnus qui se révèlent au fil de recherches, Giulia Andreani lance ici une poignée de balises qui trouvent une cohérence inattendue, comme cousue sur le fil de l’eau, une strie qui accueille en son sein la synthèse de leurs reflets.
Intermezzo livre une série d’œuvres réalisée entre deux réalités différentes vécues lors de deux périodes de résidence, l’une dans un Centre Maternel et l’autre à la Villa Medicis, où les questions relatives à la maternité et à la notion d’archive sont abordées sans détours. Ici se côtoient par exemple deux portraits, celui de l’écrivaine française Virginie Despentes dont l’œuvre littéraire et cinématographique évoque parfois le féminisme malthusien – qui décrit la maternité comme une « fonction sociale » à laquelle les femmes seraient assujetties – et un autre de la reine-pharaon Hatchepsout condamnée à l’oubli par damnatio memoriae. Ces deux portraits de femmes marquent les deux extrémités temporelles de l’exposition et arborent malicieusement les dimensions exactes de la vierge d’Antonello da Messina, symbole absolu de la complétion par la maternité dont elles sont si éloignées.
Dans les veinures du souvenir, le vertige de cette rencontre entre le détail, l’aléatoire de rencontres fortuites et l’histoire universelle révèle, in fine, une réalité palindromique. Un intermezzo jouant comme un miroir entre deux histoires qu’il ligature pour en révéler toute la complexité, un art du palindrome qui se confond, jusque dans son apparence formelle même, fragile, sobre et terriblement beau, à la célèbre preuve de son existence : « un art luxueux ultra nu ».
Félix Guétary le 30/03/18
Giulia Andreani, Intermezzo -> 28/04/18
VNH Gallery, 108 rue Vieille du Temple, 75003 Paris