Frontières et territoires, fragments d'une écriture photographique

L'Atelier Écritures photographiques, laboratoire orléanais d'expérimentations visuelles et scripturales encadré par Laurent Baude et porté par la résidence Artéfacts, expose du 23 au 31 mars au 108 les productions de sept photographes sur le thème Frontières et Territoires. Une rencontre plurielle, entre concept et réalisation, objet et représentation, une invitation à penser et à vivre l'acte créatif, parmi mots et images... 

Dans une salle blanche de cette ancienne fabrique de chocolat orléanaise, transformée depuis 2003 en espace d'expérimentation pour un collectif de structures artistiques et culturelles, des images, une écriture noire, inclinée à droite, de nombreux livrets, brouillons ou produits finis. La mise en espace de l'exposition Frontières et Territoires est dialogique : deux scénarios d'usage - regarder et toucher, deux modes de communication - voir et lire, deux artéfacts artistiques - livre et image. Sept photographes ont pensé, pendant un an, les frontières et les territoires (les penser pour les dépasser?), afin de livrer une réflexion collective autour de leur démarche individuelle : celle qui montre les étapes de sa propre création.

LIEUX DE MÉMOIRE - SANS LIMITES

Ainsi, Hugo Kerob travaille sur les barrières - celles en métal barbelé, qui éloignent, et celles, vers le ciel, caténaires emmêlées, qui rapprochent. Patrice Gandin raconte ces gens qui passent, se rapprochent puis s'éloignent, d'un mouvement indifférent, inconscients d'un regard autre. Les espaces de Claire Manchec sont ceux d'un temps qui passe : oiseaux migrateurs, un été au bord de l'eau, un sous-vêtement jeté (dans la hâte du désir?) sur une assiette et une tasse à café vide. Les noir et blanc de Christine Desfeuillet évoquent le territoire d'une mémoire ancienne, et les frontières des souvenirs : peut-on véritablement revivre en images ce qui n'est plus? Dans ses plans rapprochés, rosés et tendres, Dominique de Joux raconte des corps, ceux dont la peau est la frontière ultime, des corps abstraits, et un corps qui déconcerte... Jérémie Corbeau dit le contraste entre l'immensité statique du ciel et la concrétude de ceux qui passent : les bâtiments, les traces de ce qui n'est plus, les humains, tous voués à disparaître. Viens, Sylvie Prabonnaud clôt cet accrochage avec une invitation au voyage sur une terre vierge, verte et souple, celle qui revendique son territoire sauvage mais se laisse regarder...

DES ÉTOILES DE DOUTE

Puis, aux côtés de ces images verticales qui se contemplent, une oeuvre plurielle et dynamique qui (se) touche : les productions photographiques s'organisent en petits livrets donnant lieu à une micro-édition, un livre-objet rassemblant les sept propositions artistiques. À partir des premiers brouillons jusqu'à la création finale, nous suivons le cheminement des idées créatrices : avec le temps, les images sont plus nettes, les formes plus décidées, les idées plus expressives. Or, ce n'est pas tant le résultat, certes techniquement excellent, qui attire ici l'oeil et le coeur, c'est la route, ce sont les obstacles, les essais, les faux départs, les retours en arrière. Ce qui est beau, ce qui rend cette exposition aussi émouvante et vraie, c'est ce qui, à la fin, n'existe plus - une réflexion semée d'étoiles de doute qui brillent de leur originalité et leur sincérité, réflexion ayant donné lieu à des oeuvres-brouillons, ceux qu'on n'a pas l'habitude de montrer, ceux que, cependant, on adore regarder.
 

LA MÉMOIRE QUI RESURGIT

Cette franchise, montrée par la temporalité des hésitations sur les témoins-objets de l'acte créatif, se retrouve une fois encore dans un autre dialogue : aux côtés de la proposition artistique des sept photographes orléanais, la présentation des Éditions Léthé, projet associatif "d'éditions modestes" basées à Blois (41). L'origine, faire sortir de la nuit la mémoire des archives, et en imaginer un livre-objet de seize pages 10 x 15, une narration de l'oubli qui confronte mots et images. Aussi, insuffler la vie et donner corps aux oeuvres virtuelles, numériques, et penser les liens entre objets et leurs représentations. Éditions Léthé brise les frontières entre mémoire et oubli, entre objet et souvenir, public et privé, pour offrir, dans les six livres édités en 2017, les filaments d'un univers, d'une vie, d'une histoire, ceux qui pourraient, qui auraient pu, aussi, être les nôtres. Enfin, aux côtés des livres que l'on peut effleurer, feuilleter, flairer, sur les murs de la salle se côtoient des oeuvres des trois auteurs édités, Felipe MartinezVanessa Bourdier et Izaskun Gaspar Ibeas.

Cette seconde rencontre entre livres-objets et plans verticaux révèle encore une fois la perméabilité des frontières de l'imaginaire, et, plus encore, l'extension des territoires de sa réception et de son interprétation. Ainsi, l'exposition Frontières et Territoires réussit bien plus qu'à enchanter par la délicatesse des regards posés à l'intérieur de soi-même et au-delà des lieux familiers : elle crée un espace suffisant pour le commencement de nouvelles narrations, elle incite le spectateur à devenir acteur, et ce préambule à l'acte créatif est extraordinaire.

Et si c'était justement grâce à de tels projets de micro-éditions, à de telles expositions qui montrent une temporalité créatrice et tous les chemins empruntés, que nous pourrions, aussi, devenir artistes de nos propres vies?

Nina Rendulic

Nina Rendulic est née à Zagreb en 1985. Aujourd'hui elle habite à 100 km au sud-ouest de Paris. Elle aime les chats et la photographie argentique. Elle vient tout juste de terminer une thèse en linguistique française sur le discours direct et indirect, le monologue intérieur et la "mise en scène de la vie quotidienne" dans les rencontres amicales et les dîners en famille. Vous pouvez la retrouver sur son site : ... & je me dis

"Frontières et Territoires" # atelier d'écritures photographiques / 01

Exposition-rencontres, Le 108, rue de Bourgogne, Orléans

Du 23 au 31 mars 2018