Take Me Apart, Kelela !
Depuis ses premiers travaux, honnêteté et vulnérabilité sont les pierres angulaires du son de Kelela, même sous l'égide de l’avant-garde électronique. Sur Take Me Apart, elle double la mise sur l’intensité émotionnelle comme sur la recherche sonore qui a fait sa renommée.
Depuis 2015 et son EP Hallucinogen, Kelela a emporté les suffrages. Le single Rewind a même été remarqué par le New York Times comme l’une des 25 chansons qui nous disent vers où va la musique. Depuis, elle a fait des featurings avec son amie Solange, sur Atrocity Exhibition de Danny Brown et, plus récemment, sur le Humanz de Gorillaz.
Sur Take Me Apart, amplifiant les idées explorées sur Hallucinogen, Kelela traite des relations et de leurs effets, comme une poupée russe, se dévoilant couche après couche, pour se retrouver elle-même au centre. Exprimant une vision honnête de la façon dont nous naviguons, dissolvant les liens les uns avec les autres tout en restant optimistes quant à la prochaine chance de trouver l’amour, le ricochet émotionnel servant de fil conducteur à l’album.
Take Me Apart est non seulement une chronique intensément personnelle, mais également une déclaration rebelle : “Bien qu’il s’agisse d’un album personnel, la portée politique de mon identité façonne la manière dont il sonne et comment je choisis d’articuler ma vulnérabilité et ma force. Je suis une femme noire, une Éthiopienne- Américaine de seconde génération, qui a grandi en banlieue en écoutant du R&B, du jazz et Björk. Tout cela ressort d’une manière ou d’une autre.”
Le processus d’écriture de l'album a adopté l’approche du R&B largement collaboratif, du hip-hop ainsi que de la pop, en travaillant avec Arca, Jam City, Kelsey Lu, Terror Danjah et Romy Madley-Croft de The XX. “C’est cette complexité que j’ai tissée qui attire différents types d’auditeurs et les dé e en même temps, souvent au sein d’une même chanson.”
L’album s’ouvre sur un trio éblouissant de moments forts : du swing mécanique de ‘Frontline’ à la splendeur kaléidoscopique de ‘Waitin’ - à partir duquel on est attiré directement dans l’histoire que tisse Kelela - à la beauté chaotique et déformée du titre qui a donné son nom à l’album, avant de plonger dans ‘Enough’, qui sonne comme s’il avait été transmis d’un club de jazz éclairé au néon dans le néo-Tokyo d’Akira.
La balade en apesanteur ‘Better’ dévoile la facette la plus dépouillée de Kelela - dévoilant son âme à un “autre” sans nom, sur un piano et des textures de synthés se transformant subtilement. Le premier single ‘LMK’ montre l’assurance du club et parvient à couvrir les 20 dernières années de R&B novateur tout en explorant un autre spectre de possibilités. Ces chansons caractérisent la fusion des approches classique de l’écriture et inventive de la production au cœur de l’album, mais c’est là que les choses prennent un nouveau tournant exaltant.‘Truth or Dare’ a les tournures vocales d’un morceau des Neptunes tandis que sur ‘Blue Light’ Kelela soude son plaidoyer à la palette sonore déformée du grime, montrant la voie à suivre pour un avenir possible de l’âme cybernétique.
Puis on est emporté dans le sillage de deux collaborations à couper le souffle avec Arca sur ‘On And On’ et la majesté d’un autre monde de ‘Turn To Dust’, qui évoque des images de la diva puissante et iconique dans Le Cinquième Élément de Besson. C’est ‘Altadena’, court voyage vers l’inoubliable gospel pneumatique, qui clôt l’album ; un lien ouroboros parfait qui renvoie vers ‘Frontline’ pour commencer la saga à nouveau. S'enfuir ailleurs avec Kelela, pourquoi pas ? Et d'ailleurs, on a déjà bien usé l'album en le glissant subrepticement, depuis des mois, dans nos playlists. Grâce lui est ici rendue …
Maxime Duchamps le 28/03/18
Kelela Take Me Apart - WARP records