Nick Cave l'intranquille, la bio toute crue

Pour les 61 ans de l’artiste et ses 45 ans de carrière, la première biographie en français de Nick Cave.

Nick Cave est inclassable. Combien d’artistes peuvent se targuer de figurer aussi bien dans un guide recensant les musiciens de l’easy listening et celui des artistes proches du mouvement no wave ; d’être reconnu par ses pairs grâce à l’ARIA Hall of Fame qui l’intronisa en 2007 ; de recevoir aussi un doctorat honorifique de l’État de Victoria en Australie ; et d’obtenir le titre honorifique de docteur ès lettres des universités des Arts de Dundee et de Brighton. Nick n’a cessé de créer tout au long de sa carrière, devenant inclassable en restant intranquille.

Les grandes biographies de Nick Cave en anglais dataient pour la plupart un peu, du « Bad Seed » de Ian Johnston en 1997 au « Nick Cave Stories » de Janine Barrand en 2007, en passant par le « The Life and Music of Nick Cave »de Dax et Beck en 1999 et par le « Armchair Guide to Nick Cave » de Amy Hanson en 2006. Pour un artiste majeur qui, tout en ne reniant jamais ses époques et ses influences, s’est évertué à demeurer évolutif en diable tout au long d’une carrière musicale et littéraire atteignant désormais les quarante-cinq ans, une actualisation fréquente de ces travaux biographiques n’est pas un luxe ou une simple commodité, mais tient bien de la nécessité. Après les publications du « Nick Cave & Cohorts » de Bleddyn Butcher (2009), et surtout du magnifique travail graphique de Reinhard Kleist« Nick Cave: Mercy on me » (2017), c’est au tour de Christophe Deniau de nous proposer, au Castor Astral en ce mois de février 2018, la première biographie écrite en français d’un artiste qui s’affirme désormais, à 60 ans et après bien des vicissitudes, comme probablement l’un des plus grands de la période.

Nick Cave décrivait son film autobiographique 20 000 jours sur terre comme « un immense mensonge qui contient beaucoup de vérité ». Ce présent ouvrage retrace la singularité du parcours de l’artiste, mais essaie aussi d’évaluer son importance et son impact à l’aune des productions de ses contemporains. Ce livre tente aussi de saisir l’homme derrière cet « immense mensonge », qui le dérobe à toute définition de genre, et qui n’est peut-être rien d’autre que son œuvre artistique.

Biographie extrêmement complète, fouillée et subtile, « Nick Cave l’intranquille » fait la part belle à l’exploration des racines intimes de Nick Cave, à ses contradictions motrices, à ses rapports complexes à l’amitié et à l’amour, à ses nombreuses passions et collaborations, à ses évolutions, chaotiques ou curieusement ordonnées, aux terribles drames vécus aussi, mais ne néglige à aucun moment – et ce n’est pas si fréquent en ce qui concerne le fondateur des Bad Seeds – sa pratique de la composition et son écriture proprement dite, en analysant intensément les liens entre ses contributions filmiques, les textes de ses chansons, son théâtre, sa poésie, et surtout ses deux excellents romans, « Et l’âne vit l’ange » (1989) et « Mort de Bunny Munro » (2009), et de son dernier ouvrage en date, non encore traduit en français, « The Sick Bag Song » (2015).

Parfaitement conscient que le monde change, il se décrivait en 2008 à Télérama comme « une vieille actrice du muet, à l’ère où le film parlant émergeait, attachée à une culture du passé ». Mais si la frénésie du web et les nouvelles technologies l’indiffèrent, son image est toujours importante. Au fil des années, Nick Cave s’est créé une mythologie personnelle. Mais quand Nick se souvient du jeune homme de douze ans qu’il était, qui se jetait dans le vide à l’arrivée du train à Wangaratta, il admire son audace, mais se pose aussi la question de sa permanence. Est-ce bien le même homme qui regarde son existence dans le rétroviseur, ou le regard d’un « autre », totalement changé par la vie ?
« La célébrité est le masque qui mange le visage », a écrit John Updike dans son autobiographie. Dans ses interviews, Nick Cave est allé jusqu’à suggérer que le narrateur de The Sick Bag Song ne soit pas lui, mais simplement quelqu’un comme lui, son double en quelque sorte. Ces questions autour de la représentation de sa propre vie le taraudent encore. Mais, après les mises en abîme de 20 000 jours sur terre et de The Sick Bag Song, Nick s’est dévoilé comme jamais dans One More Time With Feeling. Il y montre ouvertement ses fêlures et ses faiblesses. Il y avoue aussi que le temps « élastique » lui est revenu en pleine face. Cet homme en recomposition peut désormais mettre fin à sa fictionalisation, en gardant toujours à l’esprit ces quelques mots couchés sur le papier entre deux avions : « Tout ce qui est arrivé et arrivera encore. Tout ce qui existe a toujours existé et continuera d’exister. Ne pas avoir honte de son besoin de créer, il est la plus belle partie de votre cœur. Le mythe est l’histoire vraie. »

Pour fêter cette parution en beauté, nous vous proposons de venir écouter et rencontrer l’auteur, Christophe Deniau, en compagnie de Nicolas Richard, traducteur du deuxième roman de Nick Cave, « Mort de Billy Munro », et rock’n’roller s’il en est (il nous parlera aussi de son mythique et joliment labyrinthique nouveau roman, « La dissipation ») : enregistrement live de l’émission de radio Ground Flore Café chez Ground Control (81 rue du Charolais 75012 Paris, à deux pas de la librairie Charybde), suivie d’une séance de dédicaces sur place, le jeudi 29 mars à 18 h 00 (émission) et à 19 h 00 (dédicace). Et nous écouterons du Nick Cave, bien entendu !

Christophe Deniau

Nick Cave, l'intranquille de Christophe Deniau, éditions Castor Astral
Charybde2 le 20/03/18

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