Avec Lava, Panos Kefalos rend hommage à Athènes

Lava, la série en couleurs de Panos Kefalos s'appuie sur les connections entre les habitants d'Athènes pour en donner une image vivante là où il n'y a presque plus rien, en raison de la crise. Fors la colère… 

Autant kaléidoscope citadin que journal de bord d'une ville au bord du gouffre, Lava décrit image par image les vibrations, le bouillonnement et le chaos incroyable d'une ville en mouvement; au fil de son pouls pris dans les dédales de la vieille ville. Un journal qui en dit autant sur la ville que le photographe au travail. 

Kefalos ne s'intéresse pas trop à l'introspection, il est trop occupé à tisser des connections. Ainsi, le mangeur de nouilles ci dessus est un vieil ami de Serra Leone, résident grec depuis dix ans qui n'a jamais pu obtenir un visa et a été renvoyé chez lui. Ceci est le témoignage qu'il a pu au moins le saluer avant son départ avec la promesse de donner de ses nouvelles, une fois en sureté au pays. 

Son autre ami Ioannis, un quasi Père Noël sans abri, rencontré au plus fort de l'hiver était dans un tel état de délabrement, ses pieds tellement infectés qu'ils ne pouvait guère bouger du banc sur lequel il s'était réfugié. Kefalos lui rendait visite chaque jour pour converser avec lui. Et puis, un jour, il a disparu soudainement, et après s'être renseigné le photographe appris qu'il était tombé de son banc sans pouvoir se relever et qu'il était mort là …

En plus des portraits déployés dans le sujet, Kefalos cherche avec Lava un certain indicible urbain, un quelque chose du souffle de la ville que l'objectif n'arrive pas à capturer - sa vitesse et son rythme entraînant. Athènes, ville éternelle est aussi, dans un flux constant à évoluer sous ses yeux. Pour le monde extérieur, on pourrait croire que la ville est devenue plus calme, sous son apparence moins violente, avec un état de crise amoindri et à la mode. Mais, pour Kefalos, cela cache quelque chose : “Dans cette métropole en constante évolution, qui change de visage de jour en jour et d'heure en heure, je me sens constamment en état d'urgence." Apparemment tout semble paisible, avec les restaurants qui font le plein à nouveau, les grues qui tournent au dessus des têtes et les affaires qui repartent. Mais de façon invisible, la situation est plus dure que jamais; avec des impôts en progression constante et des retraites déjà réduites au minimum qui continuent de fondre. Les touristes venus pour le décor n'y voient que du feu, en oubliant que dans les rues moins fréquentées, les émotions et la tension montent et que les gens étouffent -  et que tout cela va devoir trouver une issue. 

Il y a encore quelques années, cela se résolvait en manifestations, vitres brisées, gaz lacrymogènes, votes, et encore plus de manifestations. Aujourd'hui, d'après Kefalos, la tension est d'un tout autre ordre, plus profond. Comme un volcan en phase d'éveil qui brûle d'un feu interne, bouillonne, dans l'attente d'une prochaine éruption. Une ville, avec ses millions d'habitants, au bord de lâcher le magma. 

Kefalos, à la longue, a appris à être patient. Quelque chose qui n'était pas évident pour lui, à devoir sortir de son approche instinctive de la photo. Alors l'attente est devenue essentielle, autant pour ses rencontres que ses clichés. Il faut laisser aux relations le temps d'advenir, comme peut être long le temps qui va, pour le cliché, de sa prise de vue à sa révélation en chambre noire. Il n'y a pas de raccourcis pour obtenir la confiance de quelqu'un et on se doit alors de faire les choses sans attente de retour; avant que peu à peu, la confiance dans la relation s'instaure. Dire qu'Athènes manifestera la même patience dont le photographe sait faire preuve, reste encore à prouver … 

 

Photos de Panos Kefalos, texte d'Alexander Strecker, traduction et adaptation de Jean-Pierre Simard le 14/03/18 

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