Médiations loin des clichés de Susan Meiselas au Jeu de Paume
Souvent la photo de presse vaut pour l'unicité de son cliché qui réunit un fait, une façon de voir et une info. Jamais plus. Mais Susan Meiselas se situe au-delà de ce propos en documentant des séries plutôt qu'un angle magnifié qui fait sens. Sa rétrospective au Jeu de Paume en montre l'évolution. Un superbe travail.
Généralement, en agence, on demande au photographe de simplement documenter un fait, avec un angle particulier, dans le meilleur des cas. Susan Meidelas, depuis ses débuts, fait en sorte que le cliché parle au-delà de sa fonction afin d'atteindre un autre statut et être relié à une série qui fasse sens. A cela, elle excelle et, c'est justement le thème et la démarche de l'exposition du Jeu de Paume: Médiations!
Ses premiers travaux illustrent déjà sa pratique photographique ultérieure de l’intime et du mode participatif. Son tout premier projet, 44 Irving Street (1971), série de portraits en noir et blanc, lui offre, à travers l’appareil photo, la possibilité d’interagir avec les autres locataires de la pension où elle vivait durant ses études. Pour Carnival Strippers (1972- 1975), elle suit durant trois étés consécutifs des strip-teaseuses travaillant dans des fêtes foraines de Nouvelle-Angleterre. Le reportage est complété d’enregistrements audio des femmes, de leurs clients et de leurs managers.
De cette période, date aussi Prince Street Girls (1975- 1992) qui a pour décor le quartier de Little Italy, à New York, où Susan Meiselas vit encore aujourd’hui. Photographiant un même groupe de jeunes filles sur plusieurs années, elle réalise une chronique des relations suivies développées entre les jeunes filles et la photographe. Trois séries importantes constituent l’axe central de l’exposition : Nicaragua, El Salvador et Kurdistan. Réalisées entre la fin des années 1970 et les années 2000, elles montrent la manière dont l’artiste interroge la pratique de la photographie. À l’occasion de ses nombreux voyages au fil des décennies, en temps de guerre comme en temps de paix, Meiselas revient sur les lieux de ses premières photographies et se sert de ces images pour retrouver les personnes qu’elle avait rencontrées et continuer ainsi à enregistrer leurs témoignages.
Avec son projet Mediations (1982), Susan Meiselas montre combien la signification des photographies varie selon le contexte de leur diffusion. Son approche inédite est presque prophétique dans un monde où la diffusion de l’image est facilitée par la technologie.
En 1992, Meiselas, invitée à participer à une campagne de sensibilisation sur la violence domestique, photographie des scènes de crime en suivant une équipe de policiers, puis sélectionne dans les archives de la police de San Francisco des documents accompagnés de photos. Ces recherches l’ont conduite à créer Archives of Abuse, collages de rapports et de photographies de police, exposés dans les espaces publics de la ville, par exemple sous forme d’affiches dans les abribus.
À partir de 1997, Meiselas, convaincue que chaque conflit doit être abordé différemment, a également recours à la vidéo pour témoigner des conflits. Kurdistan: In the Shadow of History (1997) est composée de photographies et de vidéos, mais aussi de documents et de témoignages oraux réunis par l’artiste.
Pour la rétrospective au Jeu de Paume, Susan Meiselas a créé une nouvelle œuvre, commencée en 2015 et inspirée par son engagement auprès de Multistory, association basée au Royaume-Uni. Cette dernière série réalisée dans un foyer pour femmes, A Room of Their Own (2015-2017) porte à nouveau sur le thème de la violence domestique, cette fois en Angleterre. L’installation comprend cinq récits en vidéo qui présentent les photographies de l’artiste, des témoignages de première main, des collages et des dessins.
La série Pandora Box (1995), réalisée dans les clubs SM de New York, s'avère le prolongement de Carnival Strippers. Les images sont ici mises en rapport avec les témoignages des personnes impliquées – directeur du club, maîtresses et clients. Meiselas découvre l’existence d’un autre rapport à la violence et à la douleur dans l’espace clos du club : la violence y est maîtrisée, la douleur, auto-infligée. Une publication paraît, qui précède, comme souvent chez Meiselas, la présentation de la série sous forme d’exposition.
Cette exposition est la plus complète qui lui ait jamais été consacrée en France. Elle retrace sa trajectoire d’artiste visuelle qui, depuis les années 1970, associe ses sujets à sa démarche et questionne le statut des images par rapport au contexte dans lequel elles sont perçues. Et c'est un vrai bonheur que de s'y rendre et de voir qu'il est assez simple de lutter contre les fake news en documentant exactement le sujet et la façon dont il est traité à long terme. L'adage d'une photo de presse étant que c'est la légende qui fait la photo. Ici, impossible de passer à côté.
Jean-Pierre Simard le 7/02/18
Susan Meiselas Médiations –> 20|05|2018
Jeu de Paume Concorde 1, place de la Concorde 75008 Paris