La chute de Ryan McGinley est-elle envisageable ?
En 2003, Ryan McGinley était l'un des artistes les plus jeunes à présenter une exposition au Whitney Museum of American Art. La même année, il aura été désigné Photographe de l'Année par le magazine American Photo. Il avait vingt-six ans. Ryan McGinley aura donc tracé sa route en quatrième vitesse dans le monde de la profession-photographie, pris d'assaut en 1999 par ses photos de teenager (la bande des naughties!) réunies dans un livre auto-publié à 100 exemplaires (voyez, courage !) : "The Kids Are All Right", et tombé instantanément (en tout cas aux États-Unis) sous le charme de ses airs de s'en foutre complètement.
Évidemment, ce ne sont que des airs. Il faut être naïf pour imaginer qu'il suffit de faire dire "Cheese" à des amis plus défoncés encore que les matelas sur lesquels ils se traînent pour en revenir avec des photos mémorables. Comme il l'a dit dans un interview à Dazed and Confused, Ryan McGinley est plutôt du genre à mitrailler ses modèles en espérant un moment de grâce ("Pour cette série, il m'est arrivé de photographier quatorze heures de suite, puis d'éditer encore quatorze heures par là-dessus pour trouver UNE photo!"). Cela va peut-être à l'encontre de la mythologie grunge, où l'important serait de vivre, dans une vie de bohème où la photographie ne serait qu'un jeu de plus pour la bande de potes ("si on faisait des photos, pour se marrer?"), ou des photos souvenirs de pains dans la gueule (Nan Goldin) et de baises d'un soir (Larry Clark), mais je trouve cela plutôt bien.
Né avec le Punk en 1977, Ryan McGinley a maintenant la quarantaine. Âge dangereux. De péremption. La réédition en grande pompe, l'année dernière, de son premier livre, rebaptisé (avec la malice de la nostalgie) "The Kids Were All Right", avait un air d'hommage funèbre. De panthéonisation avant l'heure. Trajectoire éclair du succès post-moderne : on commence auto-publié, on finit auto-parodié. Génération X, Y puis Z, et après, quoi ?
Ryan McGinley doit dire adieu à sa jeunesse (comme son "Were" dans "were all right", il est devenu imparfait, il le sait, il a cette grâce-là) mais doit toujours flirter avec LA jeunesse, dont il est devenu pour tous (et singulièrement pour le milieu de la mode) un des photographes attitrés, icôniques, une sorte de Studio d'Harcourt à l'envers, à la rue. Il s'en sortira très bien, vous verrez, parce qu'il a le don d'insuffler de la grâce à des sujets qui n'en ont pas, ou peu. Mais moins qu'avant, de moins en moins, attention. De plus en plus de ses photos ressemblent ni plus ni moins à des screensavers. Ou des calendriers Pirelli naturistes où les modèles gambaderaient à poil (on ne sait pourquoi) de par le monde.
Reste à convoquer des animaux (pas pour la première fois) pour introduire, forcer, cet élément de surprise dont on sent bien qu'il a peur de voir désormais lui manquer. Mettez un humain des heures avec un chien, un aigle, un singe, et il s'oublie! À un moment ou à un autre, le modèle va craquer, et quelque chose va se révéler. C'est ce moment que traque Ryan McGinley. Pas fatalement une grimace de douleur après une griffure (trop facile), mais un moment d'abandon, de faiblesse. C'est peut-être ce qui explique aussi qu'il ait eu, cette fois-ci, plus souvent recours à l'espace confiné du studio et de ses couleurs crues.
Restent aussi, survolent le tout, de loin et de haut, ses photos de la chute, un thème récurrent chez lui, le plus beau, de loin. Ryan McGinley est un merveilleux photographe de la chute, du lâcher prise, de l'envol. Ce qui offre de belles perspectives ? Ou non.
Christian Perrot